Juridique

Liberté d’expression et pluralisme

Liberté, je crie ton nom. - Photo Olivier Dion

Liberté d’expression et pluralisme

Saisi par l’association Reporters sans frontières, le Conseil d’État a jugé, dans une décision du 13 février 2024, que, pour apprécier le respect par une chaîne de télévision, quelle qu’elle soit, du pluralisme de l’information, l’Arcom doit prendre en compte la diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés. Cette décision peut-elle avoir des conséquences sur le droit de l'édition ?

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Par Alexandre Duval-Stalla
Créé le 01.07.2024 à 11h31

Époque étonnante où il n’est plus possible d’être raciste, antisémite, homophobe ou misogyne, regrettant ainsi le bon vieux temps où ces minorités n’avaient que le droit de se taire et supporter les propos de comptoirs. Prenant enfin la parole, elles seraient désormais une atteinte à la liberté d’expression avec cet étrange principe qu’est le pluralisme, nouvel obstacle à gueuler en rond.

En effet, l’essence même de la démocratie réside dans la confrontation et le dialogue d’opinions contraires. Sa vertu est de donner à écouter toutes les voix. C’est à la fois sa force et sa faiblesse.

Ainsi, la liberté d’expression trouve son fondement dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Ses seules limites sont les diffamations et les injures, notamment envers les personnes à raison de leur appartenance, réelle ou supposée, à une nation, une ethnie, une race ou une religion déterminée, l’atteinte à la vie privée, l’atteinte à l’honneur et à la réputation, la diffusion ou la reproduction de fausses nouvelles, l’apologie des crimes de guerre ou contre l’humanité.

La liberté de communication audiovisuelle doit garantir l’expression de tendances de caractères différents

Cette liberté d’expression est également consolidée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui rappelle que : « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations. / 2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

C’est en vertu de cette liberté l’expression que découle d’une autre liberté fondamentale, celle de la liberté de communication audiovisuelle.  Ce principe à valeur constitutionnelle depuis 1982 a été inscrit dans la Constitution avec la révision de 2008 qui dispose que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » Cette liberté doit s’exercer dans le pluralisme et la transparence avec pour objectif que les auditeurs et les téléspectateurs soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés, ni les pouvoirs publics, puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire l’objet d’un marché. Et ce dans le « pluralisme des courants d’expression socioculturels est en lui-même un objectif de valeur constitutionnelle » (décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000, loi relative à la liberté de communication).

Cette liberté s’exerce dans la mesure requise, d'une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d'autrui, du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion et, d'autre part, par la protection de l'enfance et de l'adolescence, par la sauvegarde de l'ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle. Et ce, en garantissant « l’expression de tendances de caractères différents dans le respect de l’impératif d’honnêteté de l’information. » (Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986).

Concernant les maisons d’édition, chacune est libre de ne publier qu’un courant d’opinion

Le Conseil d’État a ainsi rappelé dans sa décision du 13 février 2024 la nécessité « de mettre en place un cadre juridique et administratif propre à garantir le pluralisme des médias, qui doit s'entendre tant du pluralisme externe entre les différents médias d'information que du pluralisme interne qui vise, au sein de chaque média d'information, à assurer une expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, l'accès du public devant ainsi être garanti à des informations impartiales et exactes et à une pluralité d'opinions et de commentaires. »

Concernant les maisons d’éditions, la loi n’assure aucun pluralisme en leur sein. Chacune est libre de ne publier qu’un courant d’opinion. En revanche, par le droit de la concurrence, notamment européen, ce pluralisme est assuré. Ainsi, à l’occasion de l’acquisition par Vivendi du groupe Lagardère, la Commission européenne, dans sa décision du 9 juin 2023, a rappelé, en obligeant à la cession du groupe Editis, que son rôle était également de « veiller à ce que les marchés de l’édition de livres et de la presse restent concurrentiels et diversifiés, afin de favoriser une pluralité d’idées et d’opinions. »

L’avantage avec la démocratie est que ses principes sont à la fois mesurés, équilibrés et nuancés. Toutes vertus éloignées de ceux qui parlent le plus fort pour s’imposer et qui ont toujours été ceux qui ont été les premiers à réduire les autres au silence. Comme au bon vieux temps !

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

01.07 2024

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