A quelques jours de son inauguration, samedi 11 mai, la nouvelle médiathèque municipale de Dunkerque fourmille d'ouvriers et de bibliothécaires qui s'activent fébrilement aux derniers préparatifs. Depuis la veille, les grandes lettres blanches posées sur la façade près de l'entrée principale signalent qu'on entre ici dans la « Bib », le diminutif utilisé pendant tout le projet et qui est devenu le nom officiel de l'établissement. En plein centre-ville, la médiatèque a pris ses quartiers dans l'ancien musée des Beaux-Arts, un bel édifice cubique en marbre de Carrare datant de l'époque de la reconstruction, dans l'après-guerre. L'ambition de cette nouvelle bibliothèque, fondée sur un projet et une démarche salués par l'attribution en 2016 du grand prix Livres Hebdo des Bibliothèques francophones (1), va bien au-delà de la mise en place dans la ville d'un équipement de lecture publique moderne.
Cicatriser
En 2014, quand l'actuelle équipe municipale arrive aux commandes, la bibliothèque centrale de Dunkerque est installée dans un local trop petit, vétuste, avec des inondations à répétition. La remplacer par un nouvel équipement devient un impératif. Alors que d'autres sites moins centraux auraient pu être retenus, le maire (Divers gauche), Patrice Vergriete, opte pour le choix fort de l'installer au cœur de la ville, dans un périmètre qui regroupe plusieurs lieux culturels, dont la scène nationale le Bateau Feu, situé juste à côté.
La future médiathèque est vite perçue comme un élément de premier plan dans l'ambitieux programme de requalification urbaine du centre-ville, baptisé symboliquement « Phoenix », mis en œuvre par le maire, dont l'objectif est de rendre sa ville, marquée par la récession, de nouveau attirante. Dans cet îlot qui constitue une béance de guerre jamais reconstruite, le programme urbain, dont la médiathèque est le pivot, viendra cicatriser, soixante-dix ans après, les blessures de la Seconde Guerre mondiale. Le jardin public attenant, jusque-là un peu étouffé entre les bâtiments, a été redessiné dans le cadre d'un projet coécrit avec les habitants. Plus aéré, il sert de trait d'union entre l'entrée latérale de la médiathèque et l'école maternelle dont l'entrée a été déplacée pour lui faire face.
Les architectes chargés du programme, le cabinet D'Houndt+Bajart, ont recréé dans les façades de larges ouvertures vitrées offrant une grande variété de points de vue sur la ville. L'aménagement intérieur des 3 000 m2 du bâtiment répond, quant à lui, à la commande du maire de faire « une bibliothèque qui ne ressemble pas à une bibliothèque ».
Gradin monumental
Après avoir franchi le sas d'entrée où seront installés de petits services demandés par les habitants au cours des ateliers d'initiatives locales, tels qu'une aire de garage pour les poussettes et les trottinettes, le visiteur entre dans un hall où rien ne rappelle les codes traditionnels d'une bibliothèque. A droite, une banque d'accueil est installée latéralement pour ne pas intimider. Le visiteur fait face à un immense gradin, tandis qu'il découvre à sa gauche la boutique culture, qui centralisera toutes les informations sur l'offre culturelle du territoire, et un grand café qui sera ouvert dès 9 heures du matin et qui servira tout au long de la journée boissons et petite restauration. Les clients pourront consulter une sélection de livres en lien avec l'actualité, installée juste à côté du bar, ainsi que la presse.
En poursuivant sa déambulation qui le fera circuler autour du gradin central, le visiteur croisera l'espace jeunesse, l'espace cinéma, l'espace musique doté d'un très beau salon entièrement vitré, un auditorium de 80 places, ainsi que l'élégante salle du patrimoine. La moquette au motif psychédélique et les assises, choisies pour offrir une grande diversité de posture, renvoient à l'esthétique des années 1960 et 1970. Le premier étage rassemble les collections pour les adultes, des carels pour le travail en groupe, deux salles pour les ateliers numériques et les arts plastiques. « Les consultations participatives ont fait apparaître le souhait des usagers de traiter différemment la précence des documents selon les espaces, souligne Amaël Dumoulin, directrice des bibliothèques municipales de Dunkerque. Le rez-de-chaussée est aéré et autorise le bruit, le premier étage est plus calme et offre une plus grande densité de collections. »
Pour coller au projet municipal de développer l'employabilité, la médiathèque propose d'importantes ressources d'autoformation, ainsi que des bouquets de chaînes de télévision étrangères pour travailler les langues. La signalétique se décline en trois langues : français, anglais et néerlandais. « Les Dunkerquois se perçoivent parfois comme étant dans un territoire excentré. C'est une manière de leur dire que Dunkerque peut aussi se voir comme un centre européen au cœur d'un bassin de population qui rassemble 450 millions de personnes dans un rayon de 300 kilomètres », explique Amaël Dumoulin.
42 heures par semaine
La volonté de la médiathèque de changer la perception de la ville par ses habitants comme par ses visiteurs s'inscrit dans la politique de la municipalité. Celle-ci a récemment déployé des efforts pour faire de Dunkerque un lieu de tournage pour le cinéma et la télévision, tandis que les récents états généraux de l'emploi ont visé à lui redonner un dynamisme économique. La qualité de l'aménagement, la diversité des propositions concourent à faire de la nouvelle médiathèque « la maison des Dunkerquois », où tout le monde peut venir selon son envie et se sentir chez soi. La gratuité du réseau des bibliothèques fait également écho à la gratuité des transports en commun, instaurée en septembre dernier, et qui envoie le message d'une ville qui facilite la circulation, l'accès aux services et à la culture.
La médiathèque, qui sera ouverte 42 heures par semaine du mardi au samedi, est la tête d'un réseau municipal de six établissements, dont la bibliothèque de plage, qui s'inscrit lui-même dans le réseau des Balises, géré depuis 2015 par la Communauté urbaine de Dunkerque, et qui regroupe 25 équipements de lecture publique sur le territoire. Le projet de la Bib a coûté 7,65 millions d'euros financés par la ville et la communauté urbaine de Dunkerque, l'Etat, le conseil départemental du Nord et le conseil régional des Hauts-de-France.
(1) Voir « Dunkerque : la bibliothèque attitude », LH 1109, du 9.12.2016, p. 15.
« Il faut redonner à la ville confiance en elle »
Michel Tomasek, adjoint au maire de Dunkerque chargé de la culture, du patrimoine et des bibliothèques, conçoit la « Bib » comme un élément du « bonheur intérieur brut ».
Livres Hebdo : Quel projet la mairie de Dunkerque entend- elle soutenir avec cette nouvelle médiathèque ?
Michel Tomasek : Nous avons voulu une bibliothèque moderne qui, au-delà de ses fonctions traditionnelles, soit un lieu de vie en plein centre-ville, attirant pour tous - les jeunes, les actifs, les touristes -, qui permette de venir se poser, boire un café, lire la presse, ou même ne rien faire. Dunkerque, ancien pôle de la construction navale et de la sidérurgie, connaît aujourd'hui des difficultés économiques et sociales. Nous perdons des habitants chaque année. Il faut rendre la ville à nouveau attractive, lui redonner confiance en elle. La bibliothèque est l'un des éléments de la politique de redynamisation de Dunkerque.
Comment s'inscrit-elle dans la cité ?
M. T. : Elle est au cœur d'un quartier qu'il fallait entièrement repenser, mais qui constitue le centre culturel de ville avec le Bateau Feu, notre scène nationale, le conservatoire de musique, les 4 Ecluses, la salle pour les musiques actuelles. Dunkerque a une forte activité culturelle, mais elle n'est pas toujours bien connue de ses habitants. Partant de ce constat, nous avons créé dans la médiathèque la boutique culture qui centralise toutes les informations. Nous avons également prévu le lieu d'exposition qui manquait à Dunkerque. Il pourra attirer à la bibliothèque des personnes qui n'ont pas l'habitude d'y venir.
Elle s'appelle juste la « Bib », pourquoi ?
M. T. :En fait, c'est comme cela qu'on l'appelait et qu'on la présentait aux habitants pendant le projet. C'est resté. Ce nom familier permet de casser une vision un peu passéiste de la bibliothèque. Pour moi, cela signifie aussi « bonheur intérieur brut », une notion inventée par le Bhoutan, que j'ai visité récemment. Je trouve que cela correspond bien à notre conception de la bibliothèque.