Dans les pays occidentaux, deux à cinq groupes éditoriaux rassemblent environ la moitié du chiffre d’affaires du secteur, quelques maisons moyennes coexistent avec « ce noyau » et tentent de résister aux tentatives récurrentes de rachats des groupes, tandis qu’une myriade de petites entreprises, dont la création est rendue possible par la faiblesse des barrières à l’entrée au niveau de la production, se tournent vers la recherche de nouveaux talents ou de créneaux inexploités.
Dans ces structures que les économistes qualifient d’oligopoles à frange concurrentielle, un tout petit groupe de firmes se partage l’essentiel d’un marché, tandis que nombre de petites et moyennes entreprises travaillent à la périphérie de ce noyau. Ces structures sont caractéristiques de toutes les activités culturelles.
On les retrouve même sur le marché de l’art : un nombre restreint de maisons de ventes aux enchères et quelques grosses galeries trouvent leur intérêt à laisser subsister en amont de nombreuses petites structures (galeries ou collectifs d’artistes) à la durée de vie souvent courte.
Cette frange concurrentielle est un lieu privilégié de la découverte de nouveaux talents, notamment grâce à sa proximité avec les artistes vivants ; elle assume une part des risques inhérents à cette découverte. On peut aisément démontrer que les oligopoles à frange concurrentielle sont des structures de marché assez stables, et plutôt favorables à la diversité culturelle.
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.
Dans une étude très intéressante présentée lors du forum d’Avignon de 2013, on lit que la concurrence entre plateformes est un élément central de la diversité culturelle, et constitue une
« alliée des industries culturelles » :
« Aujourd’hui, aucune plateforme ne domine la distribution de biens culturels, mais chacune bénéficie de positions fortes sur lesquelles fonder son expansion. Cette concurrence ne peut que favoriser l’innovation en matière de service aux consommateurs. Mais elle éloigne également le spectre d’un acteur dominant capable d’imposer ses règles à l’ensemble des industries culturelles. » (1)
De quoi est faite cette concurrence ? D’une part de plateformes appartenant à des modèles intégrés (Amazon, Apple), et d’autre part de plateformes spécialisées telles Spotify, Deezer, Pandora. A leurs côtés, se développent des plateformes de niche : Liveleak pour l’information, College Humor pour la vidéo, etc.
Cette analyse est-elle pertinente dans le cas du livre numérique ? L’étude ne le précise pas vraiment. Deux phénomènes freinent à mon sens l’émergence d’un « écosystème » où l’on retrouverait la structure de marché des industries culturelles traditionnelles, celle d’un oligopole à frange concurrentielle : le fait que le marché demeure dominé par le livre papier, même aux Etats-Unis où le livre numérique s’est significativement installé dans le paysage éditorial, et la place occupée par Amazon sur les deux faces du marché (papier et numérique).
L’importance du livre papier explique l’hésitation des investisseurs à créer des plateformes pour le livre numérique dont le modèle économique est fragile et repose sur des économies d’échelle qui impliquent la vente de livres en grand nombre.
Quant à la place prise par Amazon, elle s’est considérablement renforcée en peu d’années, dans un marché où le nombre des titres disponibles est un élément crucial du choix du consommateur de se tourner vers un détaillant plutôt qu’un autre. Il est difficile d’entrer sur ce marché où l’attrait de l’acteur dominant rend le risque élevé.
Dans ces conditions, l’émergence de plateformes que l’on pourrait qualifier d’alternatives est lente et compliquée, et pourtant urgente et nécessaire.