Traditionnellement attendus à Noël, les très beaux livres de chefs ne seront plus aussi nombreux cette année sur les tables des librairies. "Dans l’ensemble, les éditeurs ont réduit la voilure, tant sur la quantité que sur les prix : aucun beau livre ne franchit la barre des 50 euros. Le livre d’exception se fait rare", constate Déborah Dupont, directrice de la Librairie gourmande à Paris. Seule exception, les éditions Alain Ducasse commercialisent en octobre un ouvrage à 150 euros. Naturalité s’articule autour de la trilogie "poisson, céréales et légumes" chère à Alain Ducasse et qu’il met en musique au Plaza Athénée. Présentant une vingtaine de produits et de producteurs qui travaillent avec le restaurant gastronomique et une trentaine de recettes, l’ouvrage s’inscrit dans la lignée de ces livres plus proches de l’objet d’art que du livre pratique de cuisine, conceptualisés autour de l’univers d’un chef emblématique et qui laissent une large place à la photographie.
Coffee-table books
Cette quasi-absence de livres spectaculaires dans les programmes éditoriaux de fin d’année, Déborah Dupont l’attribue à "une certaine frilosité" de la part des éditeurs, confrontés à un marché orienté à la baisse. Parus en librairie il y a une petite dizaine d’années, avec notamment Le Pré Catelan, le restaurant de Frédéric Anton, publié chez Glénat en 2008, ces "coffee-table books", qu’on feuillette plus qu’on ne les utilise, repose sur un modèle économique très particulier, réservé à une poignée d’éditeurs. Ils nécessitent un à deux ans de préparation, mobilisent en moyenne 800 000 euros et font intervenir une équipe entière de création : du photographe de renom au graphiste en passant par le styliste culinaire et l’auteur chargé, a minima, de relire les recettes, sans oublier l’éditeur. Il aura ainsi fallu à Fabienne Kriegel, directrice générale du Chêne, deux ans de travail pour aboutir à Sola de Hiroki Yoshitake, publié en novembre (49,90 euros), une ode au mariage entre les cuisines japonaise et française.
"Pour ces livres, nous sommes proches du travail d’artisan, témoigne Florence Lécuyer, directrice éditoriale de La Martinière. Du choix des thèmes à celui du format, du papier, des matières, des textures et de la couverture, c’est un partage constant entre l’éditeur et le chef, que nous accompagnons tant sur la forme que sur le fond. Le pari reste donc délicat." D’autant que même si les libraires aiment ce genre de livre, les ventes en magasin ne permettent pas toujours d’absorber les coûts. Un succès de librairie oscille autour de 2 000 exemplaires écoulés. C’est pourquoi l’équation "est trop risquée pour ne pas avoir une petite assise économique apportée par le préachat", souligne Laurence Houlle, directrice communication et marketing chez Glénat. De plus en plus évidente aujourd’hui, la pratique qui consiste à faire acheter par le chef une partie du tirage doit toutefois rester une opération "gagnant-gagnant, poursuit Laurence Houlle. Il s’agit de faire des livres singuliers, censés, pour l’éditeur, dynamiser son catalogue et, pour le chef, lui assurer une carte de visite. " Un outil que les jeunes chefs apprécient particulièrement, à l’image d’Eric Guérin, propriétaire de La Mare aux oiseaux en Loire-Atlantique, qui signe son premier livre chez La Martinière en octobre.
Utilitaire mais esthétique
Si, cette année, il abandonne son côté spectaculaire, le livre de chef n’en conserve pas moins une proximité avec l’objet d’art. Photographié par Richard Haugthon, La vague d’or d’Arnaud Donckele, publié en novembre par Flammarion, insiste ainsi sur le mariage des produits et de la nature plus que sur les recettes. Avec Cuisine intime, le premier livre de Jean Imbert, gagnant de l’émission "Top chef" en 2012, la maison déploie aussi un côté "arty, un peu fou mais plus accessible", précise Ryma Bouzid, responsable éditoriale des livres pratiques chez Flammarion. Mêlant également aspect utilitaire et aspect esthétique, La Martinière publie en octobre Cacao du chocolatier Pierre Marcolini, qui présente l’apprentissage du travail de la fève. Sur un axe plus traditionnel, le Chêne commercialise Gilles Goujon à l’Auberge du vieux puits et Glénat a préparé Lorain, La Côte Saint-Jacques, afin notamment de "repositionner le chef, passé de trois à deux étoiles au Michelin", signale Laurence Houlle. Présent depuis peu sur ce marché, Hachette Pratique a concocté un Poulpe qui utilise le Plexiglas pour sa couverture et une sérigraphie blanche du plus bel effet. Artémis, qui pousse l’idée encore plus loin, propose en octobre Fusions gourmandes, un alliage direct entre la cuisine et l’art. Les pâtisseries du meilleur ouvrier de France Patrick Munch sont mises en scène parmi les sculptures de l’artiste Thierry Courtadon.