Parité, égalité des sexes, couple à l’épreuve de l’ultra libéralisme…, Boris Le Roy, pour son deuxième roman après Au moindre geste (Actes Sud, 2012), s’attaque avec une crudité exaltée à ces sujets chauds. Mais pour entrer dans ce livre, il faut passer par quelques préliminaires un peu techniques où l’on apprend la définition de la chiralité, un terme de chimie qui va être utile pour la suite : "un composé est chiral quand il n’est pas superposable avec son symétrique" (plus concrètement, comme des mains vues dans un miroir). En dépit de son titre, et même si le roman propose plusieurs scènes de copulation classées X, Du sexe est moins pornographique que politique. La chair est plutôt triste et le protagoniste principal a lu (presque) tout le Kama-sutra. Eliel, le héros, statisticien consultant à l’Onu, est en effet, à l’approche de la quarantaine, un spécimen assez pur de mâle blanc occidental hétéro CSP+ qui entretient avec son corps un rapport tout ce qu’il y a de plus névrotiquement contemporain : lutte rangée contre le vieillissement, sexualité compulsive et méthodique. Pourtant, ce célibataire "incapable de communier avec une femme au-delà d’une centaine de coïts" est un genre de cynique mélancolique qui rêve à un nouveau régime sexuel collectif. La solution qu’il préconise : une application radicale de la parité dans la vie publique. C’est son frère, fils préféré d’une "féministe de la deuxième génération", politicien en pleine débandade, et une femme convoitée, "la fille du roi", enfant cachée du Président en exercice, qui vont tenter de mettre en pratique le programme de "doublonnage", ce principe du binôme mixte - un homme et une femme pour chaque poste -, en proposant une candidature conjointe à l’élection présidentielle.
Avec ses chapitres titrés comme dans un traité de philosophie des Lumières, Du sexe est un hybride romanesque, qui mélange les références à des figures et des débats inspirés du réel et insuffle aux théories un souffle lyrique, parfois un peu emballé. Un texte hétérogène, malin et provocateur où l’utopie, "du désir au sens large, comme machine capable de construire une société unifiée", certes bâtie sur une bonne assise de désillusions (faillite du couple moderne, impasse des modèles de relations homme-femme), a des accents de revigorante candeur. Tout ça est bien excitant, pour l’esprit surtout. Véronique Rossignol