Livres Hebdo - Deux voies de procédure, le civil et le pénal, pour une même infraction, n’est-ce pas une de trop ?
Nicolas Bonnal - Depuis que la Cour de cassation a unifié par une série d’arrêts au début des années 1990 les procédures pénale et civile, les deux voies doivent respecter les mêmes règles. Côté plaignant, le principal enjeu qui était d’utiliser la voie civile pour se simplifier la vie a disparu. Le délai de prescription de trois mois est identique dans les deux cas, de même que la nécessité de préciser exactement les propos poursuivis, de qualifier l’infraction dont ils relèvent, et l’article de la loi qui réprime l’infraction poursuivie. Côté prévenu, les contraintes de délais pour l’offre de preuves, la possibilité de faire citer des témoins sont aussi alignées. En revanche, la sanction diffère au pénal, avec une peine d’amende et surtout une inscription au casier judiciaire.
On pourrait envisager des simplifications, notamment en ce qui concerne l’obligation de citer un journaliste à son domicile, mais jusqu’à maintenant la jurisprudence a toujours dit qu’on ne pouvait pas citer un journaliste au siège du journal, ou un auteur à celui de sa maison d’édition. Cela éviterait la contrainte idiote de la convocation de l’éditeur et de l’auteur chez le juge d’instruction qui n’est pas là pour enquêter, mais auquel il est parfois nécessaire de faire appel seulement pour trouver l’adresse personnelle du journaliste ou de l’auteur.
La dépénalisation serait-elle la dernière étape logique de cette uniformisation ?
Le pénal peut paraître presque démesuré pour les infractions de base sanctionnées par des peines d’amende. Mais la dépénalisation de la diffamation, régulièrement évoquée, est toutefois un piège ainsi que l’a très bien compris la presse qui s’y est opposée, ce qui était apparemment paradoxal. Sous le couvert d’une bonne intention, car il n’est effectivement pas souhaitable qu’un directeur de publication voit son casier judiciaire rempli de peines d’amende, on risquait de remettre en cause les spécificités du droit de la presse qui forme un ensemble équilibré, protecteur de la liberté d’expression. La dernière proposition remonte à 2008, avec le rapport du professeur Guinchard sur l’organisation des juridictions, qui suggérait la dépénalisation assortie de la simplification des règles de procédures de la loi de 1881. L’idée, à laquelle les acteurs du monde politique souscrivent parce qu’ils s’estiment souvent victimes de diffamation, est qu’elles sont jugées trop complexes pour obtenir des condamnations.
Le droit européen a-t-il été plus audacieux que la loi française dans la protection de la liberté d’expression ?
La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) a lentement infusé la jurisprudence nationale, dans le sens d’un approfondissement de son caractère libéral, même si elle était déjà protectrice de la liberté d’expression avec un socle solide autour de la notion de bonne foi. Il n’y a pas de contradiction entre les deux, et le droit français a aussi influencé la CEDH : la notion d’intérêt général de l’information du public avancée dans la Convention européenne correspond en partie à celle du but légitime, qui fait partie des critères de la bonne foi évalués dans la loi française. <
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