Souvenez-vous : c’était les années 1970 qui s’en allaient et l’avenir promettait de durer encore longtemps. Il y avait cette fille assez monstrueuse, assez monstrueusement belle, qu’on croisait au Palace ou au Studio 54, cette black aux cheveux en brosse, qu’un rien habillait, comme une Joséphine Baker new wave. Idole païenne réinventée par Jean-Paul Goude, avec la même autorité elle chantait La vie en rose ou avalait des Citroën CX dans le désert… Bien avant que les scandaleuses du show biz, Madonna et autres, ne thésaurisent leur insolence comme des points de retraite complémentaire, Grace Jones, que ces calculs d’apothicaire du marketing n’intéressaient pas, moitié black, moitié mannequin, moitié chanteuse, un peu actrice, moitié jamaïquaine, moitié américaine et un temps, tout à fait parisienne, moitié folle aussi, incarna à son corps et son esprit défendant la jeunesse d’un temps qui refusait de se voir vieillir. Et puis les années passèrent, et même les souvenirs.
Là voilà de retour en librairie, et comme on l’espérait, en majesté. Je n’écrirai jamais mes Mémoires est véritablement une belle et passionnante surprise que l’on doit aux éditions Séguier, qui confirment ici, après l’autobiographie d’Helmut Berger, leur goût du risque et des outsiders magnifiques. Non que l’on puisse douter que sa vie ait été passionnante, riche de rencontres et de créations, mais peut-être pouvait-on avoir le préjugé qu’elle ne soit pas la plus à même d’en comprendre les ressorts secrets… Quels sont-ils ? L’enfance d’abord, l’enfance nue en Jamaïque d’une fille de pasteur marquée par la violence des siens. Et puis ce que l’on sait, New York autour d’Andy Warhol, une James Bond girl à Hollywood, Paris quand elle était encore une fête… Des mondes engloutis dont Grace Jones, phénix nerveuse, nous raconte les naufrages. O. M.