6 mars > Roman France

Jean-Eric Boulin- Photo A.DI CROLLALANZA/SEUIL

C’est sans doute en politique et dans la culture que s’observe le mieux le déficit de diversité. La fiction pallie ce manque. Sabri Louatah a fait démarrer sa tétralogie Les sauvages (Flammarion) avec l’élection au second tour face à Nicolas Sarkozy d’un candidat PS d’origine kabyle. Ici Jean-Eric Boulin a imaginé une présidente de la République française du nom de Rachida Meziane, du PMD - le Parti des musulmans démocrates. On est autour de 2030, le héros de Nous aurons de l’or est de retour des Etats-Unis après plus d’une décennie d’absence. Lui a grandi au-delà du périphérique. Enfance pavillonnaire au Bourget, un îlot de Blancs jouxtant la Cité Brossolette : "A l’époque, il était ce qu’on appelle un Gaulois, un Céfranc, un jambon beurre, un gaoli, au choix." Il appartenait à cette "sous-catégorie banlieusarde" sans identité (hormis une vague ascendance juive par son père), ou alors une identité "diaphane","en pointillé". A défaut de repères solides, il s’était forgé un corps d’acier grâce à la boxe. Son meilleur ami, "[son] frère", Yassine Inoubli, alter ego plasticien, et lui partaient à la conquête de la capitale, allaient changer la face d’une société engoncée dans son vieux schéma vertical : l’un en mettant K-O ses adversaires sur le ring, l’autre en fixant sur des toiles la réalité d’une France régénérée, telle son œuvre phare, détournement de Delacroix : La Liberté (non pas seins nus mais en hijab) guidant le peuple.

Avant son départ pour les Etats-Unis, la banlieue s’était embrasée. C’est alors qu’il avait rencontré Sabrina, de parents maghrébins, et qui pratiquait la boxe thaïe - son grand amour, son grand chagrin. Du jour au lendemain, elle fut renvoyée au "bled". Il tentait d’effacer la douleur dans la fureur des combats, jusqu’à la victoire, et ce geste scandaleux sur le podium qui le força à l’exil.

L’auteur de Supplément au roman national (Stock, 2006) continue de dénoncer la "pornographie sociale" - l’obscène distorsion chez les politiques ou dans les médias entre le réel et sa représentation. Dans la nouvelle France, les tensions demeurent (Yassine est assassiné par l’extrême droite) ; outre-Atlantique, la conscience écologique revêt un masque radical à travers des actions terroristes contre les fast-foods et l’exploitation de gaz de schiste… Si l’utopie romanesque de Boulin comme programme politique peut faire sourire, voire frémir d’aucuns, ce qu’il réussit en revanche très bien à rendre est la haine et la déshérence des laissés-pour-compte de la République. Voici des pages électrisées par la formidable énergie d’un homme chassant les démons de la dépression et bridant sa peur du monde par le sexe et l’errance. Au récit du retour en France s’insère sa deuxième vie en Amérique, avec Hannah, dont l’enfance dans une small town paumée fait écho à l’ennui de la sienne au Bourget - une histoire d’amour touchante entre deux orphelins de l’ailleurs.

Sean J. Rose

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