Parmi la petite cohorte d'écrivains, intellectuels tels et plus ou moins apparentés qui se sont auto-investis de la noble mission de comprendre le monde, comment il va, surtout comment il ne va pas, Marc Weitzmann possède un avantage aux yeux des lecteurs : s'il a des avis - ce qui est à la portée de n'importe qui un tant soit peu occupé de son ego -, il a aussi du style. Et mieux, et pire, il travaille.

C'est ce qui fait tout le prix de ce monumental et toujours passionnant Un temps pour haïr, dans lequel tout honnête homme trouvera profit pour essayer de faire un peu d'ordre dans un réel que l'hystérie des temps et des commentaires dérange sans cesse. Weitzmann s'y attache à ce qui fonde aujourd'hui le débat public, le fondamentalisme musulman, les populismes, le choc de civilisations harassées, la résurgence de l'antisémitisme, la mise en cause plus ou moins insidieuse du modèle démocratique... Soit, après tout il n'est pas le seul. Mais lui seul sans doute le fait en jouant ainsi de toutes les cordes de son violon. Son livre est tissé d'enquêtes et de récits, de portraits et de rencontres, tous profondément innervés par la littérature autant que d'une réflexion sur ces monstres qui dévorent nos jours et nuits, et ce siècle démarré dans les cendres de tours jumelles (même si, dit-il, « notre siècle est l'immense décharge à ciel ouvert de celui qui précède »). En somme, si Weitzmann interroge le réel jusqu'à paraître parfois le mettre en doute, c'est en passant par les mots et sans oublier jamais que ceux-ci ont un sens. C'est cela et cela d'abord qui, avant de se faire le « répète-jacquot » de toutes les « doxa » de passage, permet de s'interroger sur la question de savoir pourquoi et comment la France a ainsi été ciblée par le terrorisme islamiste et comment, en un étrange paradoxe, elle a tout de même résisté, au moins dans les urnes, au populisme. Weitzmann « documente » la haine en des pages comme hantées par la douleur et une sourde colère où l'ironie n'est jamais qu'une élégance supplémentaire. La polyphonie d'Un temps pour haïr ne se laisse pas facilement appréhender, ses échos résonnent loin et longtemps chez son lecteur.