Avant-critique Récit

Dominique Fortier, "Quand viendra l'aube" (Grasset)

Dominique Fortier - Photo © Carl Lessard

Dominique Fortier, "Quand viendra l'aube" (Grasset)

Lauréate du prix Renaudot de l'essai 2020 pour Les villes de papier, Dominique Fortier mêle sa voix à celle de son père décédé dans ce récit intime d'une grande délicatesse.

Parution 9 avril

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Par Laëtitia Favro
Créé le 11.04.2025 à 09h00

Cueillir les roses de la vie. Un jour de rentrée des classes, Dominique Fortier conduit sa fille à l'école. À la radio, une publicité pour une entreprise de rénovation demande : « Y a-t-il quelque chose de cassé chez vous ? » « Moi » est la réponse qui lui vient spontanément à l'esprit. Son père est mort un matin de mars. Le printemps n'était pas encore arrivé à Saint-Antoine-de-Tilly, petite ville à l'embouchure du Saint-Laurent dont le cours, sous l'influence des marées, remontait ce matin-là vers sa source. À 10 h 40, au moment de l'étale, son père s'éteint. Puis « le balancier cosmique s'est remis en mouvement et le grand fleuve a repris sa course vers l'océan ». S'il évoque sans détour la perte d'un être cher, Quand viendra l'aube n'est pas uniquement le récit d'un deuil. Comme souvent dans les livres de Dominique Fortier , il est avant tout question d'écriture et du rapport que nous entretenons avec cette forme d'expression - qu'elle évoque Emily -Dickinson dans le sublime diptyque formé par Les villes de papier et Les ombres blanches (Grasset, 2020, 2023) ou laisse libre cours à des textes plus intimes.

Enseignant puis bibliothécaire ayant « fait sa vie dans les livres des autres », son père n'a jamais publié ni écrit. Sentant ses forces décliner, il avait fait promettre à son épouse de ne pas faire paraître d'avis de décès dans les journaux. « Il est disparu comme tombe un arbre dans une forêt où personne n'est là pour entendre : dans un silence assourdissant, un fracas muet, privé d'écho. » S'il avait écrit, ses textes auraient-ils été, après sa disparition, une consolation pour sa fille ? S'il avait couché ses propres drames sur le papier, les différentes étapes du deuil auraient-elles été plus faciles pour elle ? Avant de mourir, le père de Dominique Fortier est mort plusieurs fois. À 6 ans, alors qu'il est atteint d'une mastoïdite nécessitant une opération risquée pour l'époque, le médecin conseille à sa mère de faire faire un portrait, « afin qu'elle puisse garder de son fils un souvenir si par malheur l'intervention tournait mal ». À 12 ans, il perd son propre père, victime d'un infarctus. Comme un héritage inconscient, sa fille ne connaîtra jamais l'insouciance que l'on attribue à l'enfance.

Composé de scènes du quotidien et d'infimes détails qui tous font écho à ce matin de mars, Quand viendra l'aube se dérobe à la temporalité du deuil, qui transforme habituellement, au fil des mois, le refus en acceptation. Ses courts chapitres vont et viennent dans le temps mais saisissent avant tout le moment présent, qu'il se compose de deux corbeaux dans un cimetière ou d'une montre dont la trotteuse poursuit sa course sans se soucier de ce qui l'entoure. Ce présent est aussi celui de l'écriture, un temps à dérober au temps pour ne pas laisser les mots « tourner les talons, dépités, quand on tarde à leur ouvrir la porte ». Portrait d'un père qui aimait Ronsard, parce que le poète l'encourageait à cueillir « dès aujourd'hui les roses de la vie », Quand viendra l'aube est une lecture d'une grâce infinie, à savourer mot après mot pour leur laisser une chance de nous enseigner que « la vie est brève et la mort longue », et qu'il s'agit d'une chance bien plus que d'une malédiction.

Dominique Fortier
Quand viendra l'aube
Grasset
Tirage: 3000 ex.
Prix: 16 € ; 112 p.
ISBN: 9782246835707

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