Juridique

La justice : un théâtre parfaitement social

Sur les bancs du tribunal de Paris. - Photo Olivier Dion

La justice : un théâtre parfaitement social

On pointe souvent du doigt, et à raison, la différence que l’observateur, même profane, peut constater entre les audiences où l’on juge le vulgaire et celles où on juge les gens de qualité. Notre chroniqueur en fait chaque jour l’expérience de tribunal en tribunal.

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Par Vincent Ollivier
Créé le 15.02.2025 à 12h00

Les pauvres sont moins bien traités que les riches et la justice, d’une chambre à l’autre, peut passer de la dentelle la plus délicate à l’abattage le plus brutal. Il s’agit là d’un classique de l’apprentissage que peut faire le citoyen de la réalité de son égalité devant la Loi et ses émanations.

C’est, somme toute, assez caricatural et vulgaire et, de surcroît, c’est une observation qui ne peut guère prétendre à une rigueur scientifique puisque, n’est-ce pas, les juges ne sont pas à chaque audience les mêmes et que, dès lors, rien ne dit que cette différence de traitement n’est pas le fruit de la personnalité des magistrats, bien davantage que la démonstration d’une inégalité systémique que tout juge reproduirait.

Après tout, qui peut dire que les magistrats les plus sévères et les moins urbains ne sont pas, spontanément, les plus enclins à juger les plus miséreux de leurs semblables ?

Réduire le périmètre de l’expérience

C’est pourquoi est aussi précieuse l’opportunité qui est parfois donnée de voir apparaître dans une même audience, devant les mêmes juges, en une unité de lieu, d’espace et de temps, comme au théâtre, un éventail de profils sociaux suffisamment distincts mais aussi assez proches pour que les magistrats puissent donner à voir si, oui ou non, ils se comportent différemment selon la personne qui leur fait face, quand bien même les différences ne seraient qu’accessoires et subtiles.

Ainsi l’on peut déterminer plus sûrement si, comme la justice qu’il prétend rendre, le Tribunal est aveugle à celui qui se présente devant lui.

Pour qui connaît l’âme humaine, la réponse ne fait aucun doute et, effectivement, l’expérience permet — avec cette fois une plus solide prétention à la vérité — de constater que la hiérarchie sociale est toujours respectée, quand bien même les barreaux de son échelle sont plus estompés.

Ainsi, alors que les prévenus sont pourtant renvoyés pour des faits équivalents et, qu’à l’issue d’une analyse sommaire, ils paraissent évoluer dans le même milieu, le Tribunal ne se laissera pas abuser et s’adressera mieux à celui qui présente l’apparence d’une richesse solide et établie qu’à celui qui semble plus désargenté ou trop récemment enrichi mais moins bien qu’à celui qui peut afficher de hautes études et quelques années au service de l’État, quand bien même il vivrait modestement.

Il rudoiera l’affairiste français organisé davantage que l’intellectuel français opportuniste, lequel sera plus brutalement tancé que l’ancien chef d’État, lui-même mieux traité qu’un ministre maintenant sans portefeuille. On préservera les femmes élégantes, sauf si elles se refusent à se prétendre abusées par les autres prévenus et on parlera avec plus de brutalité à celles qui aurons prêté moins de soin à leur apparence. On ménagera les vieux, s’ils n’ont pas l’audace d’être encore trop verts et encore davantage s’ils affichent quelques décorations. On sera plus prudent avec l’étranger du nord qu’avec celui du Sud. On sera plus prévenants avec les malades mais, s’ils n’appartiennent pas à une autre catégorie, on oubliera vite leur affection et on les traitera comme s’ils étaient bien portants.

Une justice confortablement et désespérément à notre image

En bref, les juges reproduiront ainsi, surplombant le parquet de nos lois et de nos morales, le subtil réseau de non-dits, de préventions et de préjugés qui nous gouverne tous, qui nous fait dire bonjour à la dame et à Monsieur le Président et accepter notre place dans cette absurdité sociale dont personne ne connaît l’origine ni ne sait où elle nous conduit.

Il est réconfortant de constater que la justice est si proche de notre vie, qu’elle épouse si étroitement notre système de pensée, tout comme il est décourageant de réaliser qu’elle ne parvient pas à se détacher de nos humaines préoccupations et que, dès lors, elle s’élance à la recherche de la vérité avec un tel boulet à la cheville qu’elle est condamnée à ne jamais pouvoir l’atteindre.

Il y a fort à parier, cependant que, si un forgeron habile la libérait, elle n’aurait pas le courage de s’évader et resterait, comme nous, dans le cocon confortable de nos habitudes héritées.

La justice, comme nous, n’aime la lumière que tamisée par ce qu’elle croit en savoir.

Vincent Ollivier

Olivier Dion - Vincent Ollivier

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