“Ce qui motive les libraires, c’est d’abord l’amour des livres et de la littérature, leur appétit de culture et de découverte renforcé par le plaisir du partage et de la transmission. Je connais assez peu de corporations capables de se passionner autant pour des revenus aussi faibles !
Notre quotidien : des catalogues de fonds déjà vastes que vient compléter une offre de nouveautés pléthorique, une manutention qui tend de plus en plus vers la séance de musculation, une gestion de plus en plus pointue, la nécessité d’avoir un personnel compétent, voire spécialisé, et enfin trouver du temps libre pour assurer la quintessence de notre métier : lire !
Un sacerdoce ? Heureusement, non… Des librairies indépendantes continuent de voir le jour et des jeunes, bac + 5, continuent à nous envoyer leur CV… Car ce métier, c’est d’abord le plaisir d’une activité qui a du sens.
Cependant, si la trop faible rentabilité de nos affaires est une caractéristique avec laquelle nous vivons déjà mal, il est un moment, en temps de crise, où cette fragilité devient dangereuse. Dangereuse pour nous, bien sûr, le salaire du gérant devenant la seule variable d’ajustement possible, mais aussi pour les éditeurs et la diversité éditoriale qui est notre richesse et notre fierté nationale.
Les éditeurs, la diffusion, la distribution n’ont pas toujours conscience de la valeur des librairies indépendantes. Le réseau des librairies indépendantes, c’est une « Ferrari » au service de la distribution du livre : nous sommes implantés partout, au plus près de la clientèle, nous la connaissons, nous l’entretenons, nous la conseillons, nous l’accompagnons dans ses recherches les plus complexes, nous commandons, nous faisons des paquets-cadeaux, nous organisons des rencontres, nous faisons des partenariats, nous amenons les livres sur les salons… des services que nous multiplions car ils sont devenus indispensables pour nous démarquer de la concurrence, et, en plus, nous le faisons avec le sourire.
Ce serait un juste retour des choses que les diffuseurs intègrent ces spécificités à leur juste valeur dans leur relation économique avec les libraires indépendants. La remise prend en compte l’aspect qualitatif, disent-ils, et pourtant elle est inférieure à celle qu’ils octroient au supermarché d’à côté.
L’actualité montre que c’est finalement le réseau des librairies indépendantes qui résiste le mieux à la crise. Ses nombreuses qualités font qu’il est adapté à l’univers complexe du livre, mais il serait dangereux de ne pas se soucier de sa fragilité : les libraires ont besoin que ces qualités soient reconnues et rémunérées, ou, plus trivialement, ont besoin de vivre de leur métier !?