En mourant, il s'ajoutait à la longue liste des géants de la littérature à qui on n'a pas donné le Nobel, parmi lesquels Joyce, Proust, Woolf, Borges, Nabokov... Philip Roth (1933-2018) n'en aura pas moins été l'un des plus grands écrivains de la seconde moitié du XXe siècle. Romancier surtout, il a été deux fois lauréat du National Book Award, et couronné par le prix Pulitzer. Philip Roth, comme il le souligne dans la préface à cet inédit, Pourquoi écrire ?, un recueil d'essais - pas mal d'articles - datant de la période 1960-2013, a produit 27 fictions parmi les 31 livres qu'il a publiés. Bien sûr, si l'art du roman consiste à ourdir des récits sans coutures apparentes, cela n'empêche pas au confectionneur d'histoires d'avoir réfléchi à la manière de les tisser. L'art, c'est aussi de la technique. Et un bon écrivain est d'abord un bon lecteur, qui sait pourquoi c'est bien. Des essais sont ici consacrés à d'autres contemporains : Saul Bellow, Bernard Malamud, ou sont des dialogues avec eux : Aharon Appelfeld, Milan Kundera, Edna O'Brien ou encore Isaac Bashevis Singer sur Bruno Schulz.
L'auteur de Portnoy et son complexe rappelle comment, dès sa première nouvelle dans The New Yorker, tout juif américain de Newark qu'il ait été, il s'était attiré les foudres de « sa » communauté en se faisant taxer d'antisémitisme pour avoir osé tant de sarcasmes à l'endroit de ses coreligionnaires. Le « Raskolnikov de la branlette », alias Portnoy, tiraillé entre idéal et pulsions, et son prototype de mère juive n'allaient pas arranger sa réputation. Entre-temps, Portnoy et son complexe est devenu un classique et, bien des années plus tard, Roth recevra un diplôme honorifique du Jewish Theological Seminary.
Rapports compliqués de ses héros avec les femmes (Roth joue l'ambiguïté entre vie et fiction à travers son alter ego Nathan Zuckerman), un désir suspect qui chosifie aux yeux de ses détracteurs le sexe féminin, le label « misogyne » allait lui coller jusqu'à la fin. Critique qu'il balaie du revers de la main, dans un entretien àSvenska Dagbladet : écrire un roman est « une activité qui ne laisse rien de côté et ignore toute censure quant à la façon dont fonctionne le désir et les passions libidineuses ».Morale littéraire, la seule qui vaille : l'écrivain dit le vrai, quoi qu'il lui en coûte. Et au grand dam des dogmes ambiants.
Pourquoi écrire ? - Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Lazare Bitoun, Michel Jaworski, Philippe Jaworski, Josée Kamoun
Gallimard
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 10.8 euros ; 656 p.
ISBN: 9782072798054