5 JANVIER - ROMAN France

De son propre aveu, Robert Dubois est un éditeur au "vieux coeur". Le héros du nouveau roman de Paul Fournel, son premier chez P.O.L, a jadis fondé une maison qui a depuis été rachetée. Le vendredi soir, il reste seul dans son bureau avec les manuscrits qu'il doit emporter pour le week-end, sur lesquels il lui arrive de poser la tête. Des textes qu'il a souvent le sentiment d'avoir déjà lus. "Depuis combien d'années ai-je arrêté de sauter de joie à l'idée que j'allais découvrir un chef-d'oeuvre et rentrer au bureau le lundi en étant un homme neuf ? Vingt ans ? Trente ans ?" se demande-t-il, confiant qu'il ne lit d'ailleurs plus vraiment.

La stagiaire du moment a fait des études de gestion d'entreprises culturelles. La voici qui lui apporte un curieux objet noir et froid. "Ben, c'est une liseuse, un ebook, un iPad, je ne sais pas moi", explique-t-elle. Il paraît que c'est pratique, qu'on peut y mettre une foule de manuscrits sur "une étagère virtuelle en faux vrai bois". L'écran est simple, on tourne les pages "dans le coin d'en bas avec le doigt". Bien que léger, 730 grammes dit la balance, l'objet se révèle pourtant malcommode. Trop grand pour se glisser dans une poche, trop petit pour une serviette où il flotte. Robert Dubois se montre d'abord dubitatif. Lui, le lecteur "boucher", crayon derrière l'oreille ; lui, l'homme "des marges et de la mine de plomb". Car il s'agit là d'un éditeur à l'ancienne qui sait qu'il exerce un "métier de raison mais aussi un métier de hasard, de folie, un peu ivrogne parfois". Dubois a épousé une attachée de presse. Il a horreur de la campagne, aime le vin rouge et la cervelle meunière, a toujours préféré les livres à l'argent, participe au petit manège de l'édition avec ses parcours imposés. Conscient que les temps changent, il a l'idée de réunir autour de lui une petite équipe afin de se demander comment "profiter de la machine pour lire autrement ou, plus précisément, pour relire autrement"...

Mélancolique et drôle, le roman de Paul Fournel montre avec lucidité un monde qui s'en va et un autre qui arrive. Oulipien incurable, l'auteur des Petites filles respirent le même air que nous (Gallimard 1978, repris en Folio) a pris soin de rester ludique et inventif. Son texte, apprend-on, "épouse la forme d'une sextine, forme poétique inventée au XIIe siècle par le troubadour Arnaut Daniel. Il en respecte le nombre de strophes et la rotation des mots à la rime".

Les dernières
actualités