Roman/France 5 février Anne-Marie Garat

Il n'y a pas de hasard. En art, en tous cas. Et si accident il y a, l'artiste ou l'auteur le façonne de telle sorte que ce hasard devienne « objectif » : la rencontre fortuite se réalise en œuvre. Les écrivains, se faisant démiurges, transforment le chaos en monde, dût-il être un monde chaotique. Hélène, l'héroïne de La nuit atlantique d'Anne-Marie Garat, prend la voiture et quitte Paris pour la Gironde, sur la côte, où se trouve une maison dans les dunes qu'elle avait achetée dix ans auparavant à une institutrice à la retraite, Mme Dhal. L'archiviste, célibataire de 36 ans et sans enfant ne va pas si souvent, dans cette bicoque au bord de la mer. Autant la vendre. Alors qu'elle s'apprête à passer quelque temps « pour la dernière fois » dans le refuge solitaire avant de s'en débarrasser, voilà qu'elle le trouve habité. L'accueille un jeune homme en blouson de motard. Il a des traits mâtinés d'Asie et un accent pas tout à fait d'ici. Il dit s'appeler Joe et lui demande son nom. Un comble ! Hélène décline son identité de maîtresse des lieux et ironise en se présentant comme « marraine » - sous-entendu : marraine forcée du squatteur de son chez-soi et surtout d'une filleule adorée, Bambi. Le squatteur, pas démonté, pense qu'elle s'appelle « Maren » et entame la conversation. Conversation, ou plutôt soliloque. Joe est du style bavard. Hélène a droit à la généalogie du garçon, aux raisons de sa présence dans la région, à ses goûts en matière de photographie, car Joe est photographe... Québécois d'origine nipponne par son grand-père paternel émigré dans la Belle Province à cause de la discrimination faite à l'encontre de la minorité chrétienne au Japon dont il faisait partie, Joe Naruse a le projet de photographier les blockhaus sur le littoral atlantique, mais à l'ancienne, façon argentique, la technique que lui avait apprise feu son maître à l'université de Winnipeg.

La phrase du jeune homme se dévide en volutes. Entre un cognac et la fumée du joint que son visiteur du soir vient de rouler, la narratrice se laisse envoûter par la parole de Joe, mi-irritée, mi-intriguée. Joe dit comment il a eu la clé de la maison d'Hélène. Une copine au Canada la lui a remise juste avant son départ pour la France avec ces mots : « Si c'est celle de Barbe bleue, fais gaffe, sa petite tache de sang est indélébile. » Et d'ajouter : « Celui d'une drôlesse du village jadis disparue. D'elle on n'a rien retrouvé, qu'un petit sabot dans le sable. Cherche donc l'autre, on ne sait jamais. » Cela fait tilt. Déjà que le Nippo-canadien lui fait penser au Japonais de l'abribus, M. Yoshi ,qu'elle a aimé naguère, le sabot perdu c'est l'histoire de Laura, de ces deux sœurs dont l'aînée a noyé la cadette dans une flaque à marée basse. Laura est l'amie et le spectre, cette voix qui lui parle au milieu de la forêt. Hélène devient l'héroïne d'un drôle de conte. Un récit toujours recommencé (on se souviendra peut-être de Laura et de l'archiviste dans Nous nous connaissons déjà). Mais pas question qu'on s'y ennuie ! Débarque dans ce huis clos ladite Bambi, vibrionnante d'énergie, tourneboulée par ses problèmes personnels. Dans cette Nuit atlantique, l'écrivaine déploie ses obsessions : la dialectique du singulier et du même (genèse et gémellité), de l'apparition et de la disparition (la photo qui révèle l'absent), le cycle (la Nature, la vie, la mort). Mais l'éternel retour n'est pas la mortifère répétition. On a ici affaire à un vivace motif dans le tapis, avec la verve et l'imaginaire d'Anne-Marie Garat c'est un tapis volant.

Anne-Marie Garat
La nuit atlantique
Actes Sud
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 21,50 euros ; 320 p.
ISBN: 9782330131173

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