Il faut tuer Mamie Suzanne. C'est l'objectif du livre, c'est écrit précisément, la faire trépasser pour avoir lâché un secret, pour avoir passé son temps à se repeindre les ongles au lieu de s'occuper de sa petite-fille orpheline, Chloé. Pour celles et ceux qui auraient raté les épisodes précédents, notamment Le cri du sablier (en Folio), Chloé a vu son père tuer sa mère et se suicider. On pourrait se dire qu'elle a été plus qu'entourée après une telle chose, mais non. Reprenant son fil narratif autofictionnel (« Chloé Delaume est un personnage de fiction » – et n'est pas son vrai nom), nous la retrouvons dans un cimetière, se confiant à son guide Théophile (= celui qui aime les dieux ?) sur des tombes, tentant de saisir la voix des morts. Les vies s'entremêlent, apaisées, dans un souffle de vent, dans le calme de la nuit. La langue est concise, riche, poétique, expérimentale. Si cela vous effraie, soyez au contraire rassurés. Tendez l'oreille. Des pièces musicales sont téléchargeables sur le net. On meurt et on devient une musique, chaque mort est une musique, même Chloé a la sienne. C'est un livre sombre, c'est un livre bien, pas déprimant si peur avez-vous de Xanax manquer, «  la clef est au sous-sol  », il suffit d'y faire un tour, d'aller la chercher. C'est un roman de crise familiale, dit par un je particulier qui va à l'universel. « Je me suis faite de mots, personnage de fiction, pour échapper à votre réalité ». C'est une confession, une enquête. Il y des faits, des témoignages. Des tombes, j'entends votre voix. Et de vous, depuis toujours, votre cruauté. Ma voix en est forgée. De secret il y a plusieurs, je ne dévoilerai pas, c'est dans les livres vous le savez bien. L'un est en haut, l'autre est ici-bas. Mais peut-être peut-on en saisir, dans celui qui est réédité, sous-titré Rapport sur Boris Vian, un autre. Souvenez-vous, Chloé vient de L'écume des jours. Parce qu'il y a un avant et un après. Un avant la lecture de Vian, un avant le secret, et un après la lecture, après la révélation. Elle écrit parce qu' « avant L'écume des jours, les livres racontaient, ils ne me disaient pas ». Ils ne parlaient pas en moi. En fait, «  on parle aux morts tout le temps  ». Ils ont un héritage à transmettre. «  … On y prend si peu garde, ma robe de la maison des morts, ma crainte de ma maison à moi, ma voix dans la maison d'Alice...  » Chloé Delaume est un personnage de fiction et ce n'est pas pour rien. Il faut être une métaphore pour survivre. Sa lame est effilée, elle entend les voix des morts, c'est la vérité. «  Les morts ont tous la même peau.  » Les vivants aussi, donc. Au commencement comme au final, le Verbe, la liberté. Chloé n'est pas morte et. C'est tant mieux. Elle écrira encore beaucoup de livres. ______ Dans ma maison sous terre , Editions du Seuil, 2008 Bande originale (à écouter après lecture) sur chloedelaume.net et fiction & cie Les juins ont tous la même peau , Editions Points, 2008 (La Chasse au Snark, 2005, première édition)
15.10 2013

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