Saïd Meziane est un jeune homme épanoui. Il est courtier à la Cristalline d'assurances. Profitant de ses origines algériennes, il s'est constitué un portefeuille "spécial musulmans", avec "les boucheries hallal, hammams, agences matrimoniales musulmanes, gargotes à kébabs, couscousseries, épiceries arabes, marabouts et quelques associations islamiques d'utilité publique » du nord de Paris. Côté vie privée, il a la même copine depuis dix ans, Clotilde, prof et maîtresse du chat Zorro. Ils passent leur temps à se disputer, ne vivent pas ensemble et finiront peut-être par "officialiser". Saïd habite seul. Son appartement se trouve sur le même palier que celui de sa mère, Fatima, pour qui ce minuscule déménagement a été vécu comme un déchirement. Tous les dimanches, elle tente de le récupérer en lui préparant son couscous-boulettes. Fatima déteste Clotilde, forcément... Mais elle est aussi attendrissante bien sûr, cette Mère Courage, qui a quitté son pays en 1962 pour aller chercher une vie meilleure en France et y a rencontré Ali, un ivrogne employé dans une conserverie où il finira cuit dans le vinaigre ! Heureusement, il lui reste leur fils.
Mais un jour, tout bascule pour Saïd : il est viré de la Cristalline, rachetée par les Chinois, et sa mère, victime d'un AVC, est clouée sur un lit d'hôpital. Si son corps est inerte, son esprit est intact. Akli Tadjer donne la parole en alternance au fils, qui vit dans le présent, et à la mère, qui revisite son passé. Son enfance difficile d'"arabe" adoptée par des pieds-noirs compromis dans un attentat terroriste durant la guerre. Ses souffrances, lorsqu'elle a dû se placer chez un avocat pervers qui l'a violée. Sa fuite vers la France, de peur de représailles, la pauvreté, les rêves évanouis. Et surtout, qui est cette "petite fille en robe jaune », disparue tragiquement, à qui elle pense et s'adresse sans cesse ?
Tout cela, le lecteur l'apprendra en même temps que Saïd par le récit de Fatima, qui détricote ses souvenirs. Ils pourront aussi se dire, in extremis, la profondeur de leur amour mutuel, rarement exprimé jusqu'ici. Et Saïd consentira même à un sacrifice ultime.
Mené avec beaucoup de délicatesse par un écrivain qui possède le sens de la narration, la justesse des dialogues, le roman prend du sens, se charge en émotion, sans se dérober devant le réalisme qu'exigent certaines situations.