Au centre de cette étude chorale, la responsabilité de l’écrivain et le statut de la littérature. Ce n’est pas un hasard si ce sont deux universitaires belges qui ont organisé ce colloque d’où est tiré cet ouvrage. L’effet médiatique et la concentration intellectuelle sont en effet bien différents outre-Quiévrain.
Pascal Durand et Sarah Sindaco (université de Liège) ont donc exploré cette spécialité française - avec quelques incursions au Québec et en Allemagne - qui semble retrouver une certaine vigueur en librairie et dans les pages débats des journaux. Les auteurs reviennent ainsi sur les affaires, prises de bec, sorties de livres ou pétitions qui ont émaillé la vie intellectuelle française depuis trente ans. Ils analysent aussi le blog d’Ivan Rioufol, le magazine Causeur, et passent au crible les pamphlets sur l’école, la laïcité, l’islam ou le mariage pour tous.
En 2002, dans son Rappel à l’ordre (Seuil), Daniel Lindenberg annonçait une "enquête sur les nouveaux réactionnaires". Il en donnait surtout la liste, ce qui fit scandale. On y trouvait Philippe Muray, Michel Houellebecq, Maurice G. Dantec, Alain Finkielkraut, Luc Ferry, Régis Debray, Alain Badiou, Pierre Manent, Marcel Gauchet, Jean-Claude Milner, Shmuel Trigano, Pierre-André Taguieff, Pierre Nora ou Alain Besançon. Une bonne décennie plus tard, on constate que ce sont toujours les mêmes qui occupent peu ou prou la scène médiatique, avec quelques nouveaux venus comme Richard Millet ou Eric Zemmour.
On s’aperçoit aussi que le néo-réactionnaire, censé s’opposer au néo-progressiste, n’est pas une catégorie bien définie, d’autant que de la posture à l’imposture, il n’y a qu’un pas quelquefois vite franchi. Le livre dégage tout de même quelques constantes de cette pensée "réfractaire" : désenchantement démocratique, posture du déclin, catastrophisme, décadence, mort de la littérature ou rêve d’anéantissement.
On y décèle également la référence aux grands auteurs du passé. Ce qui relève de la désinvolture chez certains s’affiche comme une esthétique chez d’autres. Enfin, le mot qui fédère cette planète réac est l’inquiétude. Enracinés dans la tradition française jacobine, ces antimodernes enrôlent le conservatisme sous la bannière de l’anticonformisme dans un curieux mélange de réaction et de révolution. Voici, en tout cas, une approche originale, quelquefois très savante mais heureusement plurielle, de ces discours réactionnaires que l’on retrouve souvent dans les listes des meilleures ventes. Laurent Lemire