La quête du "plus produit" numérique

"Le travail pour proposer des solutions d’e-learning sert à compléter l’offre papier, qui reste le cœur de notre activité."Manon Savoye, Ellipses - Photo Olivier Dion

La quête du "plus produit" numérique

L’ebook homothétique séduit encore peu, alors que les formules éditoriales associées à des plateformes d’enseignement trouvent leur public.

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Par Charles Knappek
avec Créé le 19.09.2014 à 02h32 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

La plus-value pédagogique apparaît comme la clé de voûte du succès des livres numériques universitaires. Alors que les ebooks homothétiques peinent toujours à dépasser le succès d’estime, les ouvrages associés à une plateforme d’enseignement tirent leur épingle du jeu dans un marché qui reste encore globalement très émergent. En tête de peloton, les titres bimédias prescrits pour servir de socles à un cours via des exercices et des corrigés en ligne, ou permettant d’interagir entre étudiants et enseignants, recueillent le plus de suffrages.

L’offre française MyLab de Pearson, lancée en avril 2013 en associant un ouvrage papier à sa version numérique eText et à une plateforme d’apprentissage en ligne proposant des quiz d’autoévaluation, des cas vidéo et des activités d’entraînement, est ainsi "en pleine croissance", selon Florence Young, directrice pour la France de l’enseignement supérieur de la maison d’édition britannique. "Les enseignants ont tendance à changer leurs pratiques pédagogiques et à adopter le modèle de la classe inversée grâce à MyLab, précise-t-elle. L’étudiant travaille le contenu au préalable, fait les exercices en ligne. Grâce au numérique, le cours n’est plus l’occasion de présenter un contenu, il devient un moment d’échange pour approfondir les enseignements." L’offre française MyLab concerne aujourd’hui six titres dans les domaines de l’économie et du marketing ; elle devrait en comprendre dix d’ici à la fin de l’année. Pearson bénéficie également des bonnes performances de ses MyLab en anglais, beaucoup plus nombreux sur le marché et très utilisés dans les écoles de commerce où les enseignements sont dispensés dans la langue de Shakespeare.

Reste la question de la commercialisation. Les livres sont en effet proposés avec ou sans la plateforme auprès des étudiants, mais Pearson vend également, plus ponctuellement, sa solution directement aux établissements. "C’est vraiment du cas par cas avec les écoles et cela demande un important travail de prospection", souligne Florence Young. Dans cette dernière hypothèse, les ouvrages concernés sont activés par 100 % des élèves car l’enseignement est construit autour du manuel. Concernant les versions achetées directement par les étudiants, le pack premium est le plus demandé, mais le taux d’activation est sensiblement moins élevé. "Il appartient à l’enseignant d’inciter réellement ses élèves à utiliser la plateforme, reconnaît Florence Young. On le voit dans les usages, les étudiants sont encore assez attachés au papier, qu’ils préfèrent utiliser pour travailler. L’outil numérique et ses fonctionnalités sont davantage appréciés quand il s’agit d’aborder des matières où les chiffres sont très présents, comme la finance." A ce titre, MyFinanceLab, en langue anglaise, est l’une des meilleures ventes de Pearson.

Offres couplées

C’est dans cette même logique bimédia que De Boeck lance à la rentrée une offre équivalente, Noto, centrée sur l’interactivité professeurs-étudiants et enrichie d’une version dédiée aux bibliothèques universitaires (lire p. 12). De son côté, Elsevier-Masson vend déjà des offres couplées papier-numérique autour de certains de ses ouvrages de médecine préparant à l’examen classant national (ECN), avec un accès à la plateforme E-ecn.com. L’éditeur a récemment fait évoluer le site pour le rendre conforme aux nouveaux items et aux modes d’entraînement liés aux nouvelles épreuves qui se dérouleront sur tablette à compter de 2016. Cette évolution technologique de l’examen conduit également Ellipses à investir dans l’e-learning. La maison a fait appel à la société E-Formed, spécialisée dans la formation médicale en ligne, pour proposer aux étudiants une plateforme Web et un système d’applis qui devaient être opérationnels pour la rentrée 2014, ou au plus tard au dernier trimestre. "Le travail que nous effectuons avec nos partenaires pour proposer des solutions d’e-learning sert à compléter l’offre papier, qui reste le cœur de notre activité", précise Manon Savoye, directrice éditoriale d’Ellipses.

D’autres d’éditeurs planchent sur l’élaboration d’une offre d’apprentissage en ligne qui leur soit propre, le plus souvent dans une logique B to B (business to business). C’est par exemple le cas de Studyrama. "L’idée serait de proposer un fonds documentaire aux universités et aux grandes écoles. Elles n’achèteraient pas un livre à l’unité, mais un droit d’accès à une base de données", énonce Frédéric Vignaux, directeur du département édition. Car, pour les éditeurs, la vente de services digitaux aux institutions permet de compenser l’intérêt toujours faible des étudiants pour le support ebook. "Je ne pense pas que les étudiants sont encore mûrs pour travailler d’eux-mêmes sur des livres dématérialisés, ajoute Frédéric Vignaux. En tant qu’éditeur, nous devons donc assurer une complémentarité entre le papier et le numérique. Le format numérique comme reflet parfait du papier n’est pas la bonne solution."

En dehors des plateformes d’e-learning, c’est justement chez les acheteurs institutionnels, et notamment les bibliothèques universitaires, que les ouvrages numériques trouvent un autre relais de croissance significatif. Le succès de la collection "Repères" de La Découverte sur la plateforme Cairn, qui touche autour de 500 clients institutionnels, ne se dément pas. "Le modèle bimédia remplit son office auprès des étudiants", se félicite Hugues Jallon, le nouveau P-DG de la filiale d’Editis, qui n’observe en revanche "aucune progression significative" sur la partie B to C (business to customer). De la même façon, aux Puf, les ventes numériques ont crû de 15 % en 2013, pour atteindre 5 % du chiffre d’affaires, essentiellement via Cairn, même si elles n’ont pas permis de compenser le recul global de l’activité (- 8,7 %). L’éditeur avait d’abord mis en ligne ses "Que sais-je ?" fin 2013 : il vient d’étendre son offre à quelque 2 000 titres du fonds, dont les 300 premiers ont été mis en ligne début juillet. Les dictionnaires des Puf, les manuels et les grands classiques (Bachelard, Bergson, Freud, Marx…) n’intégreront pas Cairn pour le moment.

Les ventes d’ebooks aux particuliers tardent toujours, elles, à décoller. Mais les acteurs n’en continuent pas moins de développer leur offre. Dalloz, par exemple, poursuit sa transition numérique. Après avoir, l’an dernier, décliné en ebooks quatre collections de manuels ("Cours", "Hypercours", "Sirey", "Précis"), l’éditeur juridique étend maintenant son offre aux collections "Connaissance du droit", "A savoir" et bientôt les "Mémentos". Dalloz entend également reprendre la main sur le marché très disputé des codes napoléoniens avec une offre articulée sous trois formes : une édition limitée à petit prix, une édition classique proposant l’accès en ligne et une édition "3.0" uniquement numérique ouvrant sur tout l’univers Dalloz (voir le dossier Droit dans LH 1008, du 5.9.2014). Chez Hachette Supérieur, Julie Pelpel-Moulian, responsable éditoriale supérieur, technique et numérique, note "une légère croissance", tandis que Vuibert, qui propose des versions ebook de ses ouvrages de gestion-management depuis moins d’un an, cherche avant tout à se positionner. "Le marché est encore émergent, mais c’est important de proposer une offre pour développer la demande", estime le directeur éditorial, François Cohen.

Les éditions de l’EHESS proposent, elles, les grands classiques de leur catalogue au format homothétique via une plateforme, mais les ebooks sont considérés comme un dérivé du papier. "Ce sont essentiellement les bibliothèques universitaires qui achètent les livres numériques par le biais de plateformes. Notre philosophie est que le livre papier reste la référence", tranche Emmanuel Désveaux, directeur des éditions de l’EHESS. A La Documentation française, le numérique est de même pensé comme un renfort pour les ouvrages classiques, notamment ceux dont les ventes subissent par contrecoup les bons résultats en librairie de la petite collection "Doc’ en poche". "C’est le revers de la médaille, pointe Julien Winock, responsable du département de l’édition. Le succès des poches a pour corollaire un certain tassement des collections en grand format comme "Les études", qui sont à mi-chemin entre le livre et le périodique."

Vente granulaire

Outre une volumétrie plus réduite et une refonte de la maquette bientôt à venir, La Documentation française développe donc pour la rentrée une offre numérique élargie - jusqu’à présent, seuls les "Doc’ en poche" étaient disponibles en ebook - et fait notamment le pari de la vente granulaire. Pour Julien Winock, "les étudiants rechignent à dépenser 20 euros pour un livre complet, mais s’ils sont intéressés par un seul chapitre, la vente à l’unité constitue un bon compromis pour la préparation d’un exposé ou d’un mémoire". Si les périodiques - constitués d’articles - se heurtent à des problèmes de droits d’auteur et ne sont donc pas encore concernés par ce passage au digital, les principales collections d’ouvrages ("Formation administration concours", "Réflexe Europe", "Découverte de la vie publique"…) seront, elles, proposées au format dématérialisé. En la matière, La Documentation française espère faire aussi bien, sinon mieux, qu’avec "Doc’ en poche", dont "environ 10 %" du chiffre d’affaires proviennent du numérique, assure Julien Winock.

Pour sa part, Dunod voit le digital progresser à un rythme certes soutenu, mais le poids global des ventes numériques reste marginal. "Nous sommes passés de 2 à 3 % de notre chiffre d’affaires", résume Florence Martin, directrice du marketing et de la communication. Même constat chez Foucher, qui propose l’intégralité de ses nouveautés en version numérique, mais pour qui ce marché "est faible", selon Marilyse Vérité, responsable enseignement supérieur et développement numérique de la marque, qui assure également que le papier reste "la priorité". Les suppléments pédagogiques en ligne (corrigés, compléments de cours, exercices…) que l’éditeur propose aux étudiants ayant acheté un livre papier n’en remportent pas moins un franc succès et illustrent un autre phénomène : les contenus numériques améliorent les ventes quand ils sont proposés… gratuitement avec le papier.

Faute de séduire en tant que telle, la version numérique se mue donc en un "plus produit" en faveur du livre traditionnel. Sur ce modèle, Nathan confirme les bonnes performances du Livre nomade, son offre qui permet à l’acheteur d’un ouvrage d’accéder sans surcoût à la version numérique sur tous les supports (smartphone, tablette, ordinateur). "Le succès est toujours au rendez-vous, le taux d’activation des livres nomades progresse de plus en plus, indique Charles Bimbenet, directeur du département technique et supérieur. Le papier correspond aux usages classiques du livre, comme l’apprentissage par cœur. Le numérique répond quant à lui aux usages nomades."

La plus-value offerte par la mobilité du format numérique nourrit également la stratégie de Dunod, qui systématise cette année la solution bundle (la version numérique est incluse via un code dans l’ouvrage papier) pour sa collection "Livres en or". L’éditeur avait déjà tenté l’expérience du bundle pour certains de ses titres, mais en était revenu, faute d’activations suffisamment nombreuses. "Nous nous rendons compte que la version bundle est la plus demandée, justifie Florence Martin. Son taux d’activation dépasse maintenant les 30 %, cela commence à devenir significatif et nous allons donc généraliser ce type d’offre pour les "Livres en or"."

19.09 2014

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