Radio France carbure au livre et elle le lui rend bien : à travers des événements comme "Radio France fête le livre", qui se tient du 28 au 30 novembre au sein de la Maison de la radio fraîchement réouverte au public ; avec une flopée de prix littéraires comme le prix du Livre Inter, le prix France Info de la BD d’actualité et de reportage, le Roman des étudiants France Culture, ou encore le tout nouveau prix du Livre France Bleu des libraires indépendants. Surtout, les sept chaînes du groupe se nourrissent d’ouvrages utilisés comme autant d’outils de travail pour élaborer leurs programmes et leur offrent une caisse de résonance que peu de médias peuvent égaler. En matière de livres, Radio France est sans doute le plus gros prescripteur du Paf.
Le livre parcourt les ondes
Toute la journée, le livre parcourt les ondes. "Une grosse partie de notre grille quotidienne existe en écho à une production littéraire ou intellectuelle qui trouve sa formalisation dans les livres", analyse Sandrine Treiner, directrice adjointe de France Culture. "Il y a les émissions culturelles comme "La grande table" ou "Hors-champs" qui reçoivent des artistes dont des écrivains, les émissions exclusivement littéraires, et puis il y a tous les programmes qui rendent compte de l’actualité des savoirs en politique, en histoire, en sociologie, en philosophie, en économie, etc., et qui s’appuient naturellement sur l’actualité éditoriale de chacun de ces secteurs."
Aussi le livre existe-t-il non seulement via les programmes littéraires, mais aussi à travers les émissions dédiées à l’information généraliste et à la réflexion. Tout d’abord parce qu’un ouvrage peut faire l’actualité, que ce soit à l’occasion d’une récompense littéraire ou parce qu’il met en lumière des idées qui se retrouvent au cœur du débat public. Rien d’étonnant, donc, à ce que la matinale de Patrick Cohen sur France Inter reçoive l’économiste Thomas Piketty pour Le capital au XXIe siècle, ou encore Lydie Salvayre au lendemain de sa consécration par le Goncourt 2014.
Lorsque le livre n’est pas l’objet de l’information, il lui donne de la profondeur, ce qui en fait un outil de travail privilégié pour les journalistes et les animateurs. "La parole d’un expert qui a écrit un ouvrage ne se substituera jamais au travail de terrain d’un reporter. Mais le livre vient en complément, il met l’actualité immédiate en perspective et donne un environnement aux faits", estime Laurence Bloch, directrice de France Inter. Une analyse que partage Thierry Fiorile, le "monsieur livres" du service culture de France Info : "Nous essayons de trouver des thèmes qui entrent en résonance avec l’info, car la culture est aussi là pour éclairer l’actualité."
Le livre intervient aussi en amont, faisant office de source d’inspiration et de mine d’informations. Pour Hervé Gardette, qui dirige depuis 2011 l’émission quotidienne de débats "Du grain à moudre", c’est d’ailleurs un instrument indispensable : "Nous regardons beaucoup l’actualité éditoriale, essentiellement pour les essais qui peuvent nous suggérer des thématiques. Mais ça peut aussi se faire dans l’autre sens, c’est-à-dire que, une fois que nous avons trouvé une problématique, notre premier réflexe est d’aller voir les parutions récentes et à venir, notamment sur Electre." Dans ses locaux, l’équipe dispose d’une bibliothèque où les titres sont classés par thèmes. "Le livre n’est pas un outil de travail exclusif - nous utilisons aussi les journaux, les articles de recherche publiés sur Internet -, mais c’est un outil essentiel", résume Hervé Gardette, qui lit en moyenne deux à trois livres par semaine.
La lecture intensive fait aussi partie des activités de Zoé Varier, aujourd’hui aux manettes de "L’heure des rêveurs", une émission hebdomadaire sur France Inter qui aborde les grands auteurs et les grands textes autour de thèmes comme Dracula, Rabelais ou Sade. Auparavant, elle a notamment réalisé plusieurs séries de reportages, mais aussi produit et animé jusqu’en 2013 "Nous autres", une émission sous forme d’interview-portrait. "Lorsque je prépare un sujet, aller chercher un livre est un automatisme. Cela m’aide à structurer ma pensée pour être ensuite libre dans ma rencontre", confie la journaliste. Depuis qu’elle travaille sur "L’heure des rêveurs", elle a même dû se racheter une bibliothèque. "Pour préparer les émissions sur Colette, j’ai lu neuf livres", donne-t-elle en exemple. Refusant de porter un discours promotionnel, Zoé Varier ne cite ni les titres, ni les éditeurs de ses invités. Ce n’est pas le cas de toutes les émissions.
Hautement prescriptrice
Se situant davantage dans l’actualité avec sa chronique hebdomadaire dédiée au 9e art sur France Info, Jean-Christophe Ogier présente environ 150 bandes dessinées par an : "Je suis sur une antenne généraliste avec un public large. Je dois donc être accessible tout en incitant les auditeurs à découvrir des albums exigeants, explique-t-il. Je dois aussi dans une certaine mesure respecter un critère d’actualité." Un passage dans son émission, hautement prescriptrice, est une victoire pour un éditeur, ou même pour un représentant qui peut s’en targuer auprès des libraires. Cependant, le journaliste assure faire peu de cas de l’équilibre entre les maisons d’édition présentes à l’antenne : "Il y a même certains éditeurs que je ne cite jamais, tout simplement parce que leur production ne m’intéresse pas.".
A cet égard, le contrôle vient d’en haut. "Nous avons une réunion des doublons pour veiller à ce que ce ne soit pas toujours les mêmes invités : au-delà de trois passages pour un auteur, lesquels doivent être suffisamment espacés dans le temps, on suspend les invitations", expose Laurence Bloch pour France Inter. "Par ailleurs, nous faisons attention à ne pas inviter uniquement des auteurs déjà installés et à présenter tous les genres, notamment populaires, car ce qui fait notre force, c’est l’éclectisme." Pour France Culture, Sandrine Treiner promeut une régulation bienveillante : "La règle, c’est une autonomie sous contrôle. Les émissions ont chacune leur identité, qu’elles sont libres d’exprimer. Mon travail est simplement de faire en sorte que les auditeurs ne tombent pas plusieurs fois sur les mêmes auteurs." Elle-même à la tête d’une émission littéraire quotidienne, "Les bonnes feuilles", Sandrine Treiner tient à établir un équilibre entre les genres littéraires, les éditeurs, le sexe des écrivains.
Coéditions
Le groupe Radio France produit lui-même des objets littéraires. Outre les fictions radiophoniques inédites de France Culture, de nombreuses émissions sont adaptées en livres par les éditions Radio France. Elles coéditent ainsi 50 titres par an, avec des succès de librairie à la clé. Récemment, l’adaptation de l’émission d’Antoine Compagnon, Un été avec Montaigne (France Inter/Les Equateurs), s’est ainsi vendue à près de 150 000 exemplaires. Pour les éditeurs partenaires, c’est l’assurance d’une publicité efficace, chaque projet étant accompagné d’un plan de promotion sur les antennes. Avec entre 12 000 et 15 000 exemplaires vendus en moyenne par numéro, la revue France Culture Papiers (France Culture/ Bayard), réalisée à partir d’émissions de radio retranscrites, éditorialisées et enrichies, est aussi une réussite.
Radio France puise dans le livre un matériau irremplaçable en même temps qu’elle lui rend hommage. Formant un couple exemplaire, ces deux-là n’ont pas fini de renouveler leurs vœux et leurs déclarations d’amour. S. L.
Un salon du livre dans la maison ronde
A peine inaugurée, la Maison de la radio rend au livre un bien bel hommage : durant trois jours, les 28, 29 et 30 novembre, elle lui ouvre ses portes pour la 4e édition de son salon "Radio France fête le livre" jusqu’à présent parqué sous une tente. Avec 200 auteurs en dédicace, à travers rencontres, débats et lectures, le public pourra participer à des émissions, des ateliers ou parcourir les deux expositions phares, l’une sur la BD, l’autre autour des Doors. Plusieurs prix seront présentés - le prix du Livre Inter - ou proclamés : le tout nouveau prix du livre France Bleu (le 28 à 13 h) en partenariat avec les librairies indépendantes, le prix Lire dans le noir (16 h), le 20e prix France Info de la BD de reportage et d’actualité (20 h) et même le prix BD du Point (19 h). Et tout cela sous le parrainage de David Foenkinos, comblé par le prix Goncourt des Lycéens : "On va pouvoir se voir enfin, nous qui vivons par oreilles interposées." M.-C. I.
54 émissions avec des livres
Les émissions où le livre tient une grande place sont signalées par un astérisque.
France Inter : Eva Bester/"Remède à la mélancolie", Patrick Cohen/"Le 7/9" (semaine), Denis Cheissoux/"L’as-tu lu mon p’tit loup ?"*, Clara Dupond-Monod/chronique, Kathleen Evin/"L’humeur vagabonde", Guillaume Gallienne/"Ça peut pas faire de mal"*, Jérôme Garcin/"Le masque et la plume"*, Paula Jacques/"Cosmopolitaine"*, Brigitte Kernel/"Lire avec"*, Emmanuel Khérad/"La librairie francophone"*, Rebecca Manzoni/chronique, Patricia Martin/"Le 7/9" (week-end), Ali Rebeihi/"Pop fiction", Daphné Roulier/"La vie est un je", Augustin Trapenard/"Boomerang"*, Colombe Schneck/chronique*, Zoé Varier/"L’heure des rêveurs".
France Info : Sandrine Chesnel/"L’éphéméride", Emmanuel Davidenkoff/"Les enfants des livres"*, Valérie Expert/"A livre ouvert"*, Sandrine Marcy/"Planète Géo", Jean-Christophe Ogier/BD*, Michel Serres, Michel Polacco/"Le sens de l’info", Fabienne Sintès/"Le 6/9", Thomas Snégaroff/"Histoire d’info", Philippe Vallet/"Le livre du jour"*.
France Culture : Laure Adler/"Hors-champs", François Angelier/"Mauvais genres"*, Sylvain Bourmeau/"La suite dans les idées"*, Caroline Broué/"La grande table", Raphaël Enthoven/"Le gai savoir"*, Colette Fellous/"Carnet nomade", Alain Finkielkraut/"Répliques"*, Matthieu Garrigou-Lagrange/culture, société, Laurent Goumarre/"Le rendez-vous", Hervé Gardette/"Du grain à moudre", Cécile Guilbert/"La boîte à lettres", Jean-Noël Jeanneney/"Concordance des temps", Arnaud Laporte/"La dispute", Emmanuel Laurentin/"La fabrique de l’histoire", Christophe Ono-dit-Biot/"Le temps des libraires"/"Le temps des écrivains"*, Martin Quenehen/"Une vie, une œuvre", Marie Richeux/"Les nouvelles vagues"/"Au singulier", Zoé Sfez/"Le journal de la culture", Sandrine Treiner/"Les bonnes feuilles"*, Françoise Treussard/"Des Papous dans la tête", Adèle Van Reeth/"Les nouveaux chemins de la connaissance"*, Marc Voinchet/"Les matins de France Culture".
France Musique : Christophe Bourseiller/"Musicus politicus", Arièle Butaux/"Le dimanche idéal", Vincent Josse/"La matinale culturelle".
France Bleu : François Jenny/actualité littéraire*. M.-C. I.
Mathieu Gallet : "Le reflet du dynamisme de l’édition"
Mathieu Gallet, président de Radio France, veut ouvrir la Maison de la radio à l’ensemble de l’activité culturelle et intellectuelle autour du livre, dont la librairie.
Mathieu Gallet - Pourquoi autant de livres tout simplement ? La rentrée littéraire comptait près de 700 titres. C’est le reflet de la production éditoriale, du dynamisme de l’édition en France. On a l’impression qu’il y a beaucoup de livres à la radio parce qu’il y en a beaucoup moins dans les autres médias.
J’écoute la radio depuis à peine plus de quinze ans, et je n’ai pas l’impression qu’il y ait plus de livres aujourd’hui, sa place y est véritablement ancrée. Seule, peut-être, la forme est différente. On est capable d’avoir une journée entière consacrée à Patrick Modiano sur France Culture ou de recevoir Emmanuel Carrère ou trois économistes à la matinale d’Inter. Le livre est un support important pour développer la pensée et l’imaginaire, au même titre que la radio.
France Culture et France Inter sont les seules à développer la fiction. On fait également un travail d’édition à partir d’une émission comme "Un été avec Montaigne" et on crée des programmes radiophoniques à partir d’un livre, telles les lectures de Guillaume Gallienne. Il y a un échange car le livre et la radio sont des lieux d’expression pour la pensée ou pour l’imaginaire. Une chose rapproche les deux industries, c’est leur moindre coût. La radio coûte beaucoup moins cher à produire que la télévision.
Elle correspond à la place que le livre occupe à l’antenne et au rôle prescripteur de Radio France en matière de livres, avec vingt-cinq heures chaque semaine qui leur sont exclusivement consacrées. Elle répond à une attente des éditeurs, des auteurs et du grand public, mais notre but est d’ouvrir la maison à l’ensemble de l’activité culturelle et intellectuelle autour de la musique, du livre, du cinéma. Notre objectif par rapport aux années précédentes est d’élargir son public puisque nous avons une plus grande capacité à le recevoir, cette fois dans la Maison de la Radio et non plus sous un chapiteau provisoire.
Il tient une place importante, tout comme la musique et le cinéma. Nous sommes partenaires d’une centaine de films par an et la musique, au sens large, occupe une place colossale sur nos antennes avec 5 000 titres par semaine. La musique est dans nos gènes, des stations lui sont totalement dédiées, mais les trois sont très importants pour Radio France. Cela répond à la vitalité de cette production. Un média est le reflet de la société.
On aura l’occasion d’en reparler. Cela pourrait être une concession, des consultations sont en cours, et prendre plusieurs formes, avec peut-être de petits stands mobiles. On verra comment le public va se comporter. La maison était déjà ouverte, je veux l’ouvrir encore plus et remettre le public au cœur des antennes. M.-C. I.