La Cour de cassation a statué, le 13 novembre 2014, sur l’épineuse question de la reddition des comptes, qui prend une forme concrète chaque printemps pour les éditeurs, saison des amours et du versement des droits. Elle a notamment, à l’occasion d’un litige portant sur deux œuvres de Charlotte Delbo, relevé que, de son vivant, l’auteur ne “s’était pas plainte pendant plus de dix ans de manquements de l’éditeur à son obligation de reddition de comptes” pour en déduire que les héritiers, ayant reçu entretemps des comptes durant au moins quatre ans, ne démontraient pas de préjudice particulier à ce titre.
De fait, quel éditeur n'a jamais entendu un auteur se plaindre, à tort ou à raison, de ne pas avoir reçu ses comptes, et a fortiori de droits, depuis des années. Les professionnels sourient de cette récrimination classique, mais ne sont, en réalité, que rarement au fait des obligations légales qui leur incombent en la matière.
L’obligation de rendre des comptes est inscrite au sein du Code de la propriété intellectuelle (CPI) au rang des devoirs principaux de l’éditeur. L’article L. 132-13 du CPI en détaille les subtilités, applicables “à défaut de modalités spéciales prévues au contrat”.
C'est ainsi que l’éditeur doit procéder à l’envoi des comptes “au moins une fois l’an”. Le Code des usages en matière de littérature générale, signé entre le Syndicat national de l’édition et le Conseil permanent des écrivains, ajoute que “l’envoi ou la mise à disposition des relevés de comptes doivent intervenir dans un délai maximum de six (6) mois à compter de la date d’arrêté des comptes prévue au contrat. Le paiement des droits intervient dans un délai maximum de six (6) mois à compter de la date d’arrêté des comptes prévue au contrat. Toutefois, il est loisible aux parties de décider ensemble, en connaissance de cause et au vu du relevé de comptes, de différer le paiement de tout ou partie des sommes dues”.
Ce même Code des usages dispose que à présent que “les informations propres aux droits numériques mentionnent, d’une part, les revenus issus de la vente à l’unité, et, d’autre part, les revenus issus des autres modes d’exploitation de l’œuvre, ainsi que les modalités de calcul de ces revenus en précisant l’assiette et le taux de rémunération. Ces autres modes d’exploitation devront chacun être spécifiquement identifiés par une ligne distincte. L’éditeur est tenu de fournir à l’auteur une information sur la disponibilité de l’ouvrage en impression unitaire à la demande”.
Il est prudent d’éviter les clauses aux termes desquelles la reddition de comptes ne se ferait qu’à partir d’un certain seuil de ventes.
Les juges ont en effet déjà eu l’occasion de décider que l’obligation de rendre les comptes s’appliquait même en cas de rémunération forfaitaire de l’auteur, c'est-à-dire autonome des ventes. La Cour d’appel de Paris a également estimé, en 1993, que l’aspect moral primait sur l’aspect financier et qu’à ce titre elle s’imposait à l’éditeur, même si l’auteur ne lui en faisait pas la demande explicite.
Sauf stipulations contraires contenues dans le contrat d’édition, l’éditeur est tenu de produire un état mentionnant le nombre des exemplaires vendus, le montant des redevances dues ou versées et le nombre des exemplaires inutilisables ou détruits par cas fortuit ou force majeure. Il devra en outre indiquer “le nombre d’exemplaires fabriqués en cours d'exercice”, ainsi que “la date et l’importance des tirages et le nombre des exemplaires en stock”.
La Cour de cassation a de plus précisé, en 1994, que la reddition des comptes devait viser les sous-éditions conclues avec des éditeurs étrangers. Et la Cour d’appel de Paris a même déjà jugé, en 1988, que, si les comptes n’étaient pas suffisamment détaillés, les honoraires de l’expert chargé de les vérifier pouvaient être portés à la charge de la maison d’édition.
Selon l’article L. 132-14 du CPI, “l’éditeur est tenu de fournir à l’auteur toutes justifications propres à établir l’exactitude de ses comptes”. Le législateur a même prévu expressément que l’éditeur pouvait y être “contraint par le juge”.
Quant à la reddition des comptes frauduleuse, elle est susceptible d’entraîner par surcroît la responsabilité pénale de l’éditeur.
Enfin, le 1er décembre 2014, a été conclue l’annexe à l’accord entre le conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition sur le contrat d’édition dans le secteur du livre, à l’occasion des modifications inhérentes à l’édition numérique. Il est donc possible désormais que “les relevés de comptes” soient “adressés ou mis à disposition de l’auteur dans un espace dédié. La mise à disposition de la reddition des comptes sur un espace dédié par l’éditeur nécessite l’accord préalable de l’auteur. L’éditeur est tenu d’informer l’auteur de la disponibilité de la reddition des comptes sur l’espace dédié”.