Si les tables des librairies ont débordé de livres politiques de circonstance pendant les premiers mois de 2012, la production des essais et des documents de cette rentrée est nettement plus éclectique. Y aura-t-il le ou les best-sellers susceptibles de doper les ventes d'un secteur qui n'est pas actuellement parmi les plus porteurs ? L'étendue des sujets, la variété et la qualité de certaines signatures prédisent une rentrée animée.
OBAMA POWER
L'élection présidentielle américaine de novembre, dont l'impact est sensible bien au-delà des Etats-Unis, concentre à elle seule une douzaine de nouveautés (voir encadré p. 80). Sur le système des élections, certes, mais surtout sur la personnalité et le bilan, parfois mitigé, de Barack Obama, le président sortant. Dans le reste de la production, l'heure est plutôt à la réflexion, à l'analyse, aux perspectives sur les multiples sujets de préoccupation qui secouent la planète. Comment va le monde, Môssieu ? Il tourne, Môssieu, disait François Billetdoux en 1964. Il continue certes de tourner, mais pas toujours très rond. L'économie, la finance et, plus largement, la crise sont les autres thèmes d'actualité particulièrement développés dans la production de la rentrée. Pour en finir dès à présent avec la crise ! (Flammarion) est un programme qui pourra sembler surprenant à certains experts, mais il est défendu par le prix Nobel d'économie Paul R. Krugman. Pour Stéphane Marchand, la bataille économique ne pourra être gagnée que par les pays innovants, c'est Le défi mondial de l'intelligence : les nouveaux réseaux du savoir (Fayard), tandis que Daniel Cohen est, bien entendu, au rendez-vous avec Homo economicus, animal triste (Albin Michel).
EMPIRE DU MILIEU
Mais tous les pays ne connaissent pas la crise. Parmi ceux qui avancent contre vents et marées, la Chine inspire plus que jamais des sentiments mêlés d'admiration, d'envie et de méfiance. Une dizaine de livres paraissent, qui tentent d'analyser ce pays si complexe. Tous les niveaux de lecteurs sont concernés : Les Chinois sont des hommes comme les autres de Ruolin Zheng (Denoël), Comment pensent les Chinois ? de Nicolas Zufferey (Marabout) ou China innovation Inc. : des politiques industrielles aux entreprises innovantes, sous la direction de Romain Bironneau (Presses de Sciences Po).
LENDEMAIN D'ÉLECTIONS
Dans l'Hexagone, une vague rose a peut-être envahi la France après une élection présidentielle et des législatives remportées par la gauche, mais elle n'a pas forcément peint l'avenir dans la même tonalité. Déjà, pour revivre cette période de campagnes successives si perturbantes pour la vie de la librairie, on pourra lire et surtout regarder l'album de photos Made in France : les coulisses de la présidentielle par la journaliste Laurence Haïm, en poste aux Etats-Unis, et le photographe américain Charles Ommaney (Albin Michel). Après cette période électorale, qui a valu à certaines personnalités politiques de cinglants revers, Clélie Mathias propose Les indestructibles ou Comment ils ont survécu à l'échec en politique (titre provisoire, Albin Michel). A l'heure des bilans, Renaud Dély, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, analyse un possible rapprochement entre l'UMP et l'extrême droite dans Droite(s) : la tentation de l'extrême (Flammarion). La gauche n'est pas épargnée. Dans La gauche est-elle en état de mort cérébrale ? (Textuel), Philippe Corcuff démonte de son côté quelques "pathologies" qui lui paraissent affecter les gauches en général. Jacques Julliard, de son côté, fait oeuvre d'historien avec Les gauches françaises : histoire, politique et imaginaire (Flammarion), pendant que la journaliste Caroline Fourest propose chez Grasset Penser la gauche : chroniques laïques et universalistes. Très remarqués lors des dernières élections, les partis des extrêmes sont aussi présents : Front de gauche, quel avenir ? de Pierre Laurent (L'Atelier) revient sur le rôle du parti mené par Jean-Luc Mélenchon dans la recomposition du paysage politique, pendant que Nouveau Monde éditions propose le recueil d'articles publiés dans Le Magazine du Monde, Les hommes de l'ombre du FN de Joseph Beauregard et Nicolas Lebourg.
PERSONNALITÉS POLITIQUES
Même s'ils ne sont plus directement aux affaires, plusieurs acteurs de la vie politique choisissent cette période de l'année pour s'exprimer : l'ancien Premier ministre Pierre Mauroy revient sur cinquante ans de vie politique et personnelle avec Ce jour-là (Michel Lafon), alors qu'un autre Premier ministre de François Mitterrand, Michel Rocard, regarde l'avenir et choisit, avec Pierre Larrouturou, de lancer des propositions à la France pour sortir de la crise dans La France n'a plus droit à l'erreur (Flammarion). Du côté de l'UMP, pour solder l'ère Sarkozy, l'ex-ministre Michèle Alliot-Marie revient sur sa carrière politique dans Une femme au coeur du pouvoir d'Etat (Plon), l'ex-conseiller spécial à l'Elysée, Henri Guaino, se penche sur le dernier quinquennat avec Le pouvoir et le rêve (Plon), tandis que Camille Pascal, ancien conseiller pour les médias de l'ex-président, livre des Scènes de la vie quotidienne à l'Elysée (également chez Plon). Edouard Balladur choisit de défendre le libéralisme économique dans La liberté a-t-elle un avenir ? (Fayard). De son côté, le trublion Bernard Tapie revient sur la scène politique avec Je me mêle de ce qui vous regarde (Plon). La rentrée sera aussi l'occasion d'en savoir un peu plus sur les plus jeunes pousses de la vie politique : Véronique Bernheim et Valentin Spitz consacrent ainsi une biographie à Najat Vallaud-Belkacem, Une gazelle au pays des éléphants (First), porte-parole du gouvernement, découverte cette année par le grand public.
FONCTION PUBLIQUE
Plusieurs fronts majeurs devraient mobiliser la vie politique et sociale à cette rentrée : fiscalité, éducation, retraite, fonction publique sont parmi les secteurs concernés par des réformes annoncées par le nouveau gouvernement. Ainsi, la jeune fonctionnaire territoriale Zoé Shepard, auteure du best-seller Absolument dé-bor-dée ! ou Le paradoxe du fonctionnaire, ne lâche pas sa proie - la fonction publique et ses failles - dans Ta carrière est fi-nie ! (Albin Michel).
Mais c'est le domaine de l'éducation, son fonctionnement et ses dysfonctionnements, qui, dopé par le débat électoral, suscite de nouveau la bibliographie la plus fournie. Plusieurs sont l'oeuvre d'enseignants, restituant des expériences de terrain qui, lorsqu'elles sont convaincantes et pertinentes, sont particulièrement prisées des lecteurs. Tous deux professeurs de sciences de la vie et de la Terre, Christian Camara et Claudine Gaston tentent ainsi de combattre 150 idées reçues sur l'école (First) et, de son côté, Mara Goyet, enseignante et auteure du best-seller Collèges de France (Fayard, 2003), revient sur cet univers qu'elle connaît si bien avec Collège brutal (Flammarion). Dominique Resch, enseignant dans un lycée professionnel de Marseille, fait la chronique de son travail au quotidien dans C'est qui Catherine Deneuve ? (Autrement), exercice que pratique aussi Gabrielle Déramaux dans Collège inique (ta mère !) : heurs et malheurs d'une jeune enseignante (François Bourin).
Des ouvrages pointent plus précisément des disciplines enseignées : ainsi Ils ont tué l'histoire-géo de Laurent Wetzel (François Bourin) ou Pourquoi la France n'est pas fière de son histoire de Dimitri Casali (Lattès). L'enseignement de la langue française est une fois de plus remis en question dans Enseigner l'orthographe autrement : sortir des idées reçues et comprendre enfin comment ça marche d'Eveline Charmeux (Chronique sociale). Enfin, du côté de l'enseignement supérieur, le philosophe Michel Onfray, dont chaque livre fait débat, veut combattre "le formatage intellectuel de l'université française" et le dit dans Rendre la raison populaire (Autrement).
AFFAIRES ÉTRANGÈRES
Les décisions prises par le nouveau gouvernement s'étendent aussi hors de l'Hexagone. Alors que le président de la République a annoncé le début du retrait des troupes françaises d'Afghanistan, plusieurs livres reviennent sur le conflit, dont le témoignage d'Ahmad Ashraf, médecin afghan réfugié politique en France, qui dénonce les responsables occidentaux et locaux de la situation chaotique de son pays dans La dévastation : qu'avons-nous fait en Afghanistan ? (Bayard). De son côté, Hervé Ghesquière, grand reporter capturé en Afghanistan avec son confrère Stéphane Taponier, revit ses longs mois de captivité dans 547 jours (Albin Michel).
Sa consoeur Edith Bouvier, journaliste grièvement blessée en Syrie en février dernier, témoigne également de sa très douloureuse expérience sur le terrain dans Chambre avec vue sur la guerre (Flammarion). La Syrie et l'ensemble du Proche et du Moyen-Orient restent des zones très sensibles, dévastatrices pour les populations civiles, avec des conflits inextricables et des enjeux qui dépassent les frontières de ces pays. Ces enjeux, qui représentent autant de freins à l'ouverture vers la démocratie, sont entre autres analysés dans l'ouvrage d'Alexandre Adler et Vladimir Fédorovski, L'islamisme va-t-il gagner ? La démocratisation du Moyen-Orient est-elle possible ? (Rocher). Pour sa part, Hasni Abidi s'interroge sur le devenir du printemps arabe avec Où va le monde arabe ? (éditions Erick Bonnier), pendant que Jacques Rifflet étudie les terrains du politique et du religieux dans la genèse des conflits de cette zone avec L'Islam dans tous ses états (Mols).
La situation en Israël reste l'une des plus préoccupantes. Deux spécialistes reviennent sur cet Etat : l'historien Shlomo Sand, dans Comment la terre d'Israël fut inventée : de la Terre Sainte à la mère patrie (Flammarion), et l'écrivain et philosophe Ami Bouganim avec Vers la disparition d'Israël (Seuil), essai où il invite la société israélienne à revoir les dogmes sur lesquels elle s'est fondée.
IMMERSIONS EN BANLIEUE
Très (trop ?) souvent, l'image de la banlieue véhiculée par les médias est celle de territoires sensibles, de populations à problèmes et de sensations de mal vivre. Spécialiste de l'enquête journalistique en immersion (elle a publié Le quai de Ouistreham en 2010 chez L'Olivier), Florence Aubenas a vécu à Nanterre pendant un an pour dresser le portrait de ce coin des Hauts-de-Seine : dans son nouvel ouvrage (le titre n'est pas encore défini), qui paraît chez le même éditeur, il y a la ville dans toute sa diversité, les habitants et leur hétérogénéité sociale et culturelle, et la vie quotidienne d'un jeune couple issu de l'immigration.
Dans Voix du 9-3 : témoignages de femmes de banlieue (L'?uvre), parole est donnée à des jeunes femmes issues de l'immigration, pendant que dans un livre à deux voix, Don't panik (Desclée de Brouwer), le chercheur en géopolitique Pascal Boniface et le rappeur Médine dialoguent autour de l'islam de banlieue. Chez Zones, label de La Découverte, l'éducateur Joseph Ponthus donne la parole à quatre jeunes d'une cité de grande banlieue parisienne dans Nous... la cité.
C'est une approche globale de la banlieue que proposent enfin Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé dans Les lieux des banlieues (Le Cavalier) : les secteurs ouvriers, les grands ensembles et les lieux résidentiels.
LA DOUBLE RÉVOLUTION INTERNET
L'utilisation généralisée d'Internet, et celle des réseaux sociaux en particulier, a joué cette année un rôle majeur dans la marche du monde. Yves Gonzalez-Quijano le rappelle dans son essai Arabités numériques : le printemps du Web arabe (Actes Sud), qui montre l'ampleur et les conséquences du phénomène. Mounir Bensalah, de son côté, analyse l'influence de l'univers du Web dans le monde arabe dans Réseaux sociaux et révolutions arabes (Michalon). Outil de communication transfrontalier par excellence, Internet est le vecteur de témoignages particulièrement précieux : ainsi Blog de Chine (Gallimard) réunit un ensemble de textes de l'écrivain Han Han, blogueur désormais célèbre, qui joue avec la censure de son pays pour livrer des témoignages des différents aspects de la société chinoise, et pas forcément les plus flatteurs.
Dire qu'Internet peut affecter les relations humaines n'est pas une expression vide de sens, et les réseaux sociaux, qu'ils se nomment Facebook ou Twitter, en sont les premiers responsables. T'es sur Facebook ? Peut-on ne pas avoir d'amis ? est un essai d'Anne Dalsuet sur l'influence des réseaux dans les relations sociales (Flammarion). De son côté, le groupe italien Ippolita, groupe de recherche interdisciplinaire, dénonce l'utilisation des informations détenues par Facebook dans J'aime pas Facebook (Payot)
ET L'HOMME DANS TOUT ÇA ?
Mondialisation en marche, spéculations financières intenses, crise économique bien réelle, consommation effrénée et chômage croissant emportent les sociétés occidentales, qui tentent pourtant, çà et là, de s'indigner en groupes. Mais quelle juste place peut trouver l'individu confronté à ces bouleversements multiples et brutaux ?
Dans Renverser l'insoutenable (Seuil), l'intellectuel suisse Yves Citton tente d'approcher les solutions qui permettraient à chacun de légitimer son rôle et son action dans la société. L'écrivain et journaliste Jean-Claude Guillebaud analyse, dans Une autre vie est possible (L'Iconoclaste), les causes de désespérance de la société d'aujourd'hui, et propose des clés pour permettre de dépasser ce sentiment. Jean-Louis Servan-Schreiber, de son côté, appelle à Aimer, quand même, le XXIe siècle (Albin Michel), en doutant, certes, mais aussi en espérant et en s'étonnant. En défendant le rêve et la poésie, indispensables selon lui à tout être humain, l'écrivain Patrick Chamoiseau, dans La beauté du guerrier (Philippe Rey), plaide pour accéder par cette voie à un autre monde. Déjà, en 1986, le sociologue américain Christopher Lasch et le philosophe français Cornelius Castoriadis débattaient sur la chaîne britannique Channel 4 de l'évolution des sociétés contemporaines, de la société de consommation, du repli dans la sphère privée : ces entretiens d'une grande actualité sont retranscrits dans La culture de l'égoïsme (Climats).