Un auteur a parfois du mal à saisir l’élément déclencheur d’un roman, mais ici la source est claire : une photographie a titillé l’imaginaire de Bernhard Schlink. Le nom de cet écrivain reste associé au best-seller mondial Le liseur. Traduit dans le monde entier, il a été adapté au cinéma. Ce juriste et professeur de droit allemand, né en 1944, a aussi publié des nouvelles et des romans policiers. Dans son nouveau roman, La femme sur l’escalier, le narrateur exerce le métier d’avocat et se trouve mêlé à une drôle d’histoire. Un litige inhabituel oppose deux hommes. L’un est l’artiste Karl Schwind, l’autre l’industriel Peter Gundlach. Ce dernier a commandé un tableau du premier mettant en scène sa femme, Irène. Un portrait troublant et sensuel, dans lequel elle descend un escalier en tenue d’Eve, "avec une légèreté aérienne. Un mélange confus de violence et de séduction, de résistance et d’abandon". Ce portrait semble parfait, si ce n’est que Gundlach le martyrise à sa guise. Appelé au chevet de l’œuvre, le peintre désire sauver sa toile. Aussi saisit-il la justice pour se l’approprier. Mais il y a anguille sous roche. L’artiste et son modèle paraissent très proches. On pourrait croire que c’est l’histoire d’un triangle amoureux. Ce serait méconnaître Schlink, qui aime bousculer ses lecteurs. Tout comme son héros, on se laisse aveugler par la belle Irène. Or elle le manipule, avant de se volatiliser. Des années plus tard, le protagoniste se retrouve nez à nez avec le fameux tableau. "Nous étions vieux, c’était bien loin, tout ça. Pourquoi me tourmentais-je avec cette vieille histoire ?" Parce qu’elle ne s’est jamais effacée de sa mémoire. Irène est "entrée nue" dans sa vie et son esprit, alors il se doit de la retrouver. Isolée sur une petite île, cette femme spectaculaire ne ressemble plus qu’à un spectre, mais l’écrivain se fait magicien en transformant cette vérité crue en amour éternel. Kerenn Elkaïm