29 janvier > Histoire France

Bethléem ! Un nom tellement prédestiné qu’on dirait un pseudonyme. Les surréalistes lui en avaient trouvé un autre : l’érotique constipé ! Du haut de sa chaire médiatique, en l’occurrence sa Revue des lectures, l’abbé délivra son imprimatur sur tous les genres littéraires, du roman à la bande dessinée, pendant quarante ans. Sa tribune catholique avait bien plus d’influence à l’époque que La Revue des deux mondes ou même la NRF. Cela finit par agacer Mauriac, qui partit en guerre contre ce censeur imposant ses vues étroites aux bibliothécaires et aux libraires.

Grand spécialiste de l’histoire de l’édition, Jean-Yves Mollier nous montre l’homme dans une France où La Croix était alors un quotidien antisémite et où tous les combats passaient par le livre. Bethléem, dont la petite entreprise fut qualifiée d’« opus mirificum » (œuvre magnifique) par le pape en 1912, voulait d’abord protéger la jeunesse de la « littérature dégoûtante ». C’est sous l’influence de son action que fut adoptée, après sa mort, la loi du 16 juillet 1949 sur les publications pour la jeunesse. Son guide des Romans à lire et romans à proscrire - 1 000 exemplaires en 1904, 140 000 en 1934 ! - proposait ainsi une rubrique sur les « romans honnêtes qui peuvent être lus sans dangers par des jeunes gens ou des jeunes filles sagement formés ».

Le pauvre homme, il en a lu des livres qui l’agaçaient ! D’abord les classiques comme Rousseau ou Voltaire. Et ses contemporains qui s’obstinaient à évoquer la vie, le corps, les excès. Avec les surréalistes, il fut servi. Henri Jeanson et Robert Desnos furent même envoyés en commando pour déchirer des images pieuses du côté de Saint-Sulpice.

Dans son combat, l’abbé censeur eut le soutien de quelques solennels calotins comme Claudel qui approuva sa démarche en 1937. « S’il y a un fléau qui empoisonne la France, qui déborde de toutes les presses et de toutes les scènes, c’est la pornographie. Il y a encore un homme qui lutte contre elle de toutes ses forces, c’est le courageux abbé Bethléem. » L’abbé, qui expira le 18 août 1940, n’eut pas à faire le choix de Vichy. Mais on peut supposer que ce pourfendeur d’auteurs juifs et francs-maçons, laudateur de Drumont, pratiquant la délation et traitant Léon Blum de « pourriture des pourritures », n’aurait pas manqué le virage de la révolution nationale.

Le travail très méticuleux de Jean-Yves Mollier nous replonge dans un temps où l’on se battait pour des mots et pas qu’avec des mots. Il explique aussi comment fonctionnait cette censure et comment elle s’exerça par la suite à l’endroit de Pauvert, Losfeld ou Tchou. Tout cela à cause de ce curé de choc qui voulait transformer la littérature française en Semaine de Suzette au nom de la moralité publique. L. L.

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