L'acheteur prescripteur, ou l'externalisation de la fonction de diffusion

L'acheteur prescripteur, ou l'externalisation de la fonction de diffusion

C’est un livre qui ne parle pas des livres, hormis quelques brèves incursions dans le monde des bibliothèques (Marie-Anne Dujarier, Le travail du consommateur. De MCDO à eBay : comment nous produisons ce que nous achetons , La Découverte, 2008). L’auteure rappelle que le modèle économique qui consiste en l’externalisation de certaines fonctions de finition du produit ne date pas d’aujourd’hui. Ce fut le succès d’Ikea (avec ses meubles en kit que même le bricoleur résolument incompétent parvenait à monter à la place du vendeur), jusqu’aux chaînes de restauration qui proposent au consommateur de composer son plat tout seul. C’est là un procédé qui n’est pas réservé à des produits bas de gamme seulement, qui permet de réduire habilement les coûts supportés par l’entreprise en mettant le consommateur au travail. Les occasions de cette mise au travail, consentie et même applaudie dans la plupart des cas, se sont considérablement étendues avec Internet. On appelle ça l’interactivité, la coproduction.   D’une certaine manière, le modèle économique d’Amazon, c’est cela. A la place de la bonne table du libraire ou de ses conseils avisés, on trouve les rubriques : « Produits fréquemment achetés ensemble », « Les clients ayant acheté cet article ont également acheté … », « Les clients ayant consulté cet article ont également regardé …. ». On y ajoutera l es commentaires et évaluations en ligne, et les commentaires jugés les plus utiles par … les commentateurs et les visiteurs du site.   C’est un peu le concours de beauté de Keynes. Le jeu finit en effet par se déplacer : au lieu de chercher à élire la plus jolie femme, on élit celle qui obtiendra le meilleur classement. Keynes utilisa la métaphore du concours de beauté pour illustrer le mode de fonctionnement des marchés financiers… Un texte à lire et relire tant il frappe par sa terrible modernité (chapitre 12 de la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie ) . Sur Amazon, le commentaire espère les faveurs des commentateurs eux-mêmes et la critique du livre –si tant est qu’elle en soit une- oscille entre le souci de parler du livre et celui de plaire aux internautes qui ne liront pas nécessairement le livre.   On pourrait arguer que ce n’est pas nouveau, et qu’au sortir de la librairie le bouche-à-oreille pouvait se déclencher, comme on le retrouve à présent sur le Net. A une différence près : l’amorce était donnée dans la plupart des cas par le professionnel qui se positionnait en découvreur, et qui faisait œuvre de passeur. Le modèle Amazon allie deux caractéristiques : la délégation du travail de diffusion, son externalisation sur l’acheteur, et le renforcement de bulles informatives, à l’instar des bulles spéculatives des autres marchés aujourd’hui à la peine.   Le consommateur se professionnalise-t-il pour autant, en se substituant au diffuseur et en permettant ainsi des gains en productivité qui affecteraient l’évolution des coûts et peut-être même celle des prix ? Le commentaire conduit-il à la redécouverte de livres oubliés ? Permet-il de dénicher une perle que personne n’avait remarquée ? On serait alors dans le monde enchanté de la « longue traîne »… Une perspective qui a surtout beaucoup fait rêver…  
15.10 2013

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