16 NOVEMBRE - ROMAN France

D'aucuns tiennent un journal, d'autres préfèrent les Mémoires, qui les placent comme acteur ou témoin d'une Histoire plus vaste. Le projet d'Antoine Compagnon semble à la fois plus modeste et plus ambitieux. C'était comme s'il eût répondu à l'un de ces intitulés de rédaction qu'on donne aux élèves : "Racontez vos vacances", en l'espèce "le printemps de votre vie". Mais ici, la copie dépasse son sujet, et la "dissert'» de devenir une histoire d'initiation où Candide dessille les yeux. Le moment charnière, pour Compagnon, se situe au mitan des années 1960 - le lycée au prytanée militaire de La Flèche, l'année de "rhétorique", ou "rhéto".

L'historien de la littérature, né en 1950, se souvient. Il venait de fêter ses 15 ans et "débarquai [t] de la riante Amérique" où son père était en poste. Outre le fait qu'il ait perdu sa mère au printemps, l'adolescent n'aurait pu expérimenter plus grand contraste : le voilà jeté dans l'eau glacée de la discipline. L'ancien collège de jésuites, qui avait accueilli sur ses bancs Descartes et instruit les futurs chefs de la France. A l'inconfort des chambrées, de l'hygiène sommaire, s'ajoutent le bizutage, les brimades et autres corvées de chiottes, sans oublier les marches au pas. L'encadrement martial laisse peu de temps pour la solitude et la lecture. Le bon élève s'acoquine bientôt avec les "mauvais esprits" du bahut : les deux meneurs, le grand Crep's et Bouboule, Lambert qui s'engage dans la gauche radicale, Petitjean le cinéphile avec qui il découvrira le subversif Pierrot le fou de Godard. C'est avec force détails que le narrateur restitue la façon de vivre des "ñass", ces élèves de La Flèche, avec leur code et leur jargon...

Mais ce que dépeint l'auteur de La classe de rhéto dans l'univers du prytanée est une métonymie du monde : "Tous les ressorts de la machinerie du pouvoir étaient en évidence devant nous : la lâcheté de presque tous, la fierté de quelques-uns, l'éternel conflit de la liberté et de la tyrannie." Un pouvoir étayé par le sentiment d'un monde ordonné régi par le sens du devoir et de la hiérarchie. "Rien de plus artificiel que ce sentiment : (...) Nous le savons, mais privés de telles fictions, faute de self-deception, sans une bonne dose de mensonge à soi-même, de duperie de soi, pour ne pas dire de mauvaise foi, nous serions égarés."

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