Le héros bien réel du nouveau livre d’Olivier Rolin a vu le jour en 1881 à Krapivno, un village d’Ukraine. En suivant l’auteur de Port-Soudan (Seuil, 1994, prix Femina, repris chez Points) et d’Un chasseur de lions (Seuil, 2008, repris chez Points), le lecteur fera connaissance avec Alexeï Féodossévitch Vangeng&discReturn;-heim. Un scientifique épris de concret qui est devenu en 1929 le premier directeur du Service hydro-météorologique unifié de l’URSS et qui a créé en 1930 le "Bureau du Temps".
Olivier Rolin a voulu raconter "la vie et la mort de cet homme qui se destinait à l’observation paisible de la Nature et que la fureur de l’Histoire brisera". Un Vangengheim qu’il soupçonne d’une "certaine raideur", qu’il voit comme un "visionnaire, ou peut-être un utopiste" avec son rêve d’un système météorologique mondial, son envie d’aider "à la construction du socialisme et particulièrement à l’amélioration des performances de l’agriculture".
"L’ami des nuages", Olivier Rolin le découvre par hasard en 2010. Lorsqu’il est invité à Arkhangelsk où il est accueilli "peut-être pas comme un président, mais, disons, comme un sous-préfet". L’occasion alors de pousser jusqu’aux îles Solovski, archipel au milieu de la mer Blanche. Là où Vangengheim a été déporté en 1934 dans "un camp à régime spécial", victime parmi des millions d’autres de la folie stalinienne. L’album voué à la mémoire de son père, édité par sa fille Eléonora, tombe entre les mains de l’écrivain français qu’il ne laisse pas indifférent.
Olivier Rolin a ensuite retracé pas à pas le parcours d’Alexeï Vangengheim. Ce fils de conseiller du Commissariat du peuple à la Terre a été un élève "très bon ou excellent en tout" hormis en géographie où il n’est que "satisfaisant". Il a d’abord hésité entre la terre et le ciel avant d’embrasser tout à la fois "les nuages, les vents, les pluies, les isobares, les glaces de la route maritime du Nord". Au début des années 1930, le bourgeois communiste ne manque pas de travail. Il est même bien parti pour être décoré de l’ordre de Lénine, devenir membre de l’Académie des sciences. Dans le pays, on arrête, on interroge à tout-va. La Guépéou, la police politique, traque les ennemis du peuple.
Vangengheim est pris dans la toile, accusé d’être un saboteur, un espion. Envoyé à la Loubianka, il avoue, se rétracte. Il quitte ensuite Moscou, passe le poste de transit de Kem et se retrouve dans un camp où les détenus l’appellent "Professeur". Camp où il écrira cent soixante-dix-huit lettres à sa femme. Et une autre au camarade Staline pour lui expliquer qu’il ne perdra jamais sa confiance dans le Parti… Terrible, le livre d’Olivier Rolin ne manque pourtant pas d’humour et propose une réflexion littéraire et pertinente sur le triomphe mondial du capitalisme.
Alexandre Fillon