Peut-on aimer à satiété ? Conjuguer ce verbe en s'extasiant à l'infini ? Dominique Rolin et Philippe Sollers ont tissé un lien qui n'appartient qu'à eux. Et désormais un peu à nous, puisqu'ils publient leur correspondance chacun à leur tour. Celle-ci commence peu après leur première rencontre, en 1958. Le jeune auteur charismatique a 22 ans. En apparence, tout lui sourit, si ce n'est ses démons bien à lui. La dame du Femina a déjà une œuvre reconnue, mais elle reste dévastée par la mort de son second mari. « Je ne croyais plus aux miracles, or tu en es un, bien vivant. J'ai peur, mais je t'aime. »
Leur amour est immédiat, il demeurera cependant caché. L'auteur belge Jean-Luc Outers était dans le secret des dieux. Lui, qui appréciait tant Dominique, s'est fait un plaisir de plonger au cœur de ces centaines de lettres bouleversantes. Comment faire le tri dans une correspondance aussi abondante ? « Comment refléter l'entièreté de cet amour s'étendant sur autant d'années ? C'est le caractère romanesque de cette passion hors du commun qui a guidé notre choix », explique la préface.
Si le volet de Sollers (Gallimard, 2017) montrait un amoureux transi et cérébral, tourné vers le monde, celui de Rolin s'aventure d'avantage dans le registre charnel et sentimental. « Je chante, je ris, je pleure, je sors, j'aime... Bref, cela donnera peut-être un jour un beau livre. » Littéralement aimantée par cet homme si singulier, elle écrit : « t'aimer, c'est t'aimer. T'aimer, c'est aussi m'aimer. Tu es mon centre et ma périphérie. Je suis tienne atomiquement. » Elle ne vit que par lui et pour lui, tant ses planètes intérieures gravitent autour du soleil sollersien.
Autre ancrage, l'écriture qu'ils partagent viscéralement. Sous la plume de Rolin, Sollers devient Jim, personnage récurrent de ses romans. Lui-même lui fait part de l'évolution de ses écrits, auxquels elle insuffle ses impressions enflammées. Le lecteur s'immisce dans le laboratoire de leurs labeurs, de leurs ardeurs et de leurs doutes. Ces derniers assaillent Dominique Rolin à propos de leur relation. « Tes lettres sont les choses concrètes dont j'ai besoin pour subsister pendant l'absence. Pourtant, je meurs un peu dans l'absence et la distance. »
Elle n'a pas choisi de vivre dans cette attente perpétuelle de l'être aimé. Pas choisi de rester dans l'ombre d'une autre femme « officielle », Julia Kristeva. Parfois, la souffrance l'insupporte, mais elle préfère la déverser dans son Journal ou dans des lettres, qu'elle n'envoie jamais à son « splendamour ». Il lui donne le spleen ? Peu importe, telle une Pénélope héroïque, Dominique continue à chérir cet homme qui inonde son cœur.
« Impossible de casser entre toi et moi le fil, il me semble que ma vie en dépend. »
On découvre sa version de l'histoire avec délectation, humour, imagination et émotion. Ces êtres se complètent comme deux morceaux d'âme se nourrissant mutuellement. « Nous avons réussi un coup double étonnant : amour-écriture. En réalité, nous nous aimécrivons ou bien nous nous écrivaimons. »
A l'instar de la correspondance Albert Camus - Maria Casarès, celle de ce duo se lit comme un grand roman d'amour. Quel enchantement ! « Au fond, nous ne sommes pas faits pour nous écrire l'amour, mais pour le boire et le manger dans un éternel recommencement. N'ayons pas peur d'être heureux. »
Lettres à Philippe Sollers (1958-1980)
Gallimard
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 24 euros ; 480 p.
ISBN: 9782072795428