De même que l’homme Olivier Bleys a entrepris un tour du monde pédestre par étapes, de même l’écrivain, si tant est que les deux soient sécables, semble avoir entrepris, livre après livre, une espèce de grand tour de la planète : France, Pays-Bas, Portugal, Brésil, entre autres, lui ont servi de décors. Le voici qui coche la Chine sur son planisphère. Pas celle du passé, mais celle, très contemporaine, où ce qui reste de tradition, incarnée par le vieux Hou-Chi, aidé de son gendre, le courageux Wei Zhang, tente de résister à l’inexorable et brutale "modernisation" qui gagne le pays à une vitesse exponentielle.
Par exemple, Shenyang, une ville quelconque du nord-est, qui connaît un développement et une urbanisation sauvages sous la houlette de Monsieur Fan, le caïd local, un mafieux très "Chine nouvelle", obèse, fêtard, pervers, qui gère la "valorisation du quartier Xisanjianzi". Une zone populaire où habite la famille Zhang, ses locataires depuis toujours, à qui Fan a promis qu’ils pourraient devenir propriétaires, moyennant 123 000 yuans. Rien pour lui, une fortune pour eux. Et les Zhang économisent pour acheter leur précieuse maison. Il faut dire qu’au milieu de sa cour subsiste un vieil arbre, un sumac ou "arbre à laque", dans les racines duquel sont enterrés les parents de Wei, Bao et Fang, morts piqués par un serpent. Ouvrier au chômage, Wei permet tout juste aux siens de survivre, y compris en volant du charbon avec la complicité de Cheng, le cheminot. Les Zhang sont une famille de "souris" comme il y en a des millions : Wei, Yun, son épouse aimante, leur fille Meifen, une adolescente rêveuse qui escalade les cheminées de briqueteries désaffectées pour contempler le paysage sinistré et les figures des nuages dans le ciel, et le vieux Hou-Chi, auteur en 1966 d’un livre, A propos des arbres, dédié à Mao et vite renié ensuite. Cette Chine-là semble bien loin. Ce qui compte, c’est l’argent, donc d’exproprier les Zhang parce qu’on a découvert, juste en dessous de chez eux, un gisement de terbium, métal rare. Plus question de leur vendre la maison.
C’est alors que Wei va devenir une espèce de héros, seul contre tous, les autorités, Fan et les autres, déterminé à lutter jusqu’à la mort pour son droit, celui des humbles, et le respect de la parole donnée. On ne révélera pas toutes ses tribulations, avant le coup de théâtre final, imaginé par un écrivain généreux au mieux de son talent, aussi à l’aise dans le roman "en costumes" que dans le conte philosophique moderne. J.-C. P.