Voici deux ans, dans son beau Climats de France (Sabine Wespieser), Marie Richeux ressuscitait, aujourd'hui que les clameurs du temps qui l'ont accompagné se sont estompées, la mémoire et surtout l'œuvre de l'immense architecte et urbaniste que fut Fernand Pouillon. Cet été, une exposition sera consacrée à ses bâtiments algériens lors des prochaines « Rencontres de la photographie d'Arles ». Il faut donc saluer l'initiative bienvenue du Seuil de rééditer à cette occasion ses Mémoires d'un architecte, introuvables depuis de nombreuses années, accompagnées d'un avant-propos de l'éditeur particulièrement éclairant.
Si ces Mémoires sont aussi passionnantes, c'est d'abord parce qu'elles sont l'œuvre d'un véritable écrivain. Quelques années avant leur rédaction, Pouillon avait écrit depuis la geôle où il croupissait injustement, son unique roman, consacré à l'histoire de l'abbaye du Thoronet, Les pierres sauvages, resté culte pour nombre de lecteurs et aujourd'hui disponible en Points. Les Mémoires ont la même force littéraire, la même ferveur, la même colère aussi.
Elles sont aussi fascinantes pour tout ce qu'elles sont également. A la fois une autobiographie, une manière d'art poétique, un pamphlet et un plaidoyer en défense. Le livre débute lorsque Fernand Pouillon réussit à s'évader de la clinique où il avait été jeté après la prison où l'avait mené une sombre affaire probablement ourdie par la haine que son succès et son insolence inspiraient au Conseil de l'ordre des architectes. Il l'écrira depuis son exil toscan de Fiesole.
Ce sera pour lui l'heure du retour à soi, à la solitude, d'une vie menée désormais à la petite semaine.« Je suis devenu architecte par hasard. C'est dans ce métier que j'avais à accomplir ma révolution. En route, je me suis aperçu que j'étais presque seul à pouvoir la faire. Elle est et sera dérisoire. J'ai voulu que ma profession fût l'instrument grâce auquel je toucherais la sensibilité humaine et me mettrais ainsi au service d'un monde en pleine évolution sociale, ou qui se prétend tel. »Du vieux port de Marseille jusqu'en Iran et surtout en Algérie, Fernand Pouillon poursuivra ce rêve. Quoi qu'il lui en coûte. Il le paiera du prix de sa liberté, de sa solitude, de son chagrin. Mais la beauté demeure et la littérature entre-temps, est venue.
Mémoires d’un architecte
Seuil
Tirage: 1 500 EX.
Prix: 29 euros ; 504 p.
ISBN: 9782021427110