2 MAI - ESSAI France

Judith Benhamou-Huet- Photo ANTOINE BOUILLOT/GRASSET

"Somme toute, j'ai partout agi en marchand." Une déclaration de Jeff Koons ? Détrompez-vous ! une missive de Rubens. Racheter une de ses propres toiles au prix fort en salle des ventes pour en faire grimper la cote : une astuce de Gerhard Richter ? Que nenni ! une technique éprouvée de Rembrandt. Chercher la fortune dans la répétition du même motif : rien de warholien là-dedans ; Dürer et Chardin, chacun à sa façon, avaient déjà trouvé que l'idée était bonne...

Telle est donc la thèse de la journaliste Judith Benhamou-Huet : les artistes ont toujours calculé, compté et obéi à la loi de l'offre et de la demande. Ils n'ont pas attendu Damien Hirst, et les folies de l'art contemporain n'ont rien à envier aux spéculations des marchands d'art flamands du XVIIe siècle. Dans les cours de toute l'Europe renaissante, dans les galeries de l'époque industrielle ou de l'entre-deux-guerres, Titien, Le Greco, Courbet et Monet ont élaboré des stratégies financières et joué de leurs oeuvres comme d'un capital en Bourse. Le lecteur apprendra ainsi que la gravure, pour Dürer, était un moyen de diffusion sans précédent. Que les paysages de Venise par Canaletto étaient conçus pour séduire les premiers touristes anglais du XVIIIe siècle, qui avaient un autre standing qu'aujourd'hui. Que Gustave Courbet mettait en scène ses oeuvres avec une obsession du scandale et de la médiatisation, aussi bien que Nan Goldin aujourd'hui...

Chacun des chapitres commence par une anecdote concernant le marché de l'art actuel, que la journaliste fréquente assidûment, et c'est de ce parallèle que l'essai tire son intérêt : il tisse un lien très matériel entre les oeuvres des musées et celles que s'arrachent aujourd'hui les oligarques mondiaux. On peut déplorer que le constat de départ n'amène pas à une analyse plus approfondie de ce qui, dans les oeuvres de chaque peintre, découle directement des conditions économiques. Un album assez anecdotique, en somme, mais édifiant et souvent drôle : "Je suis le roi Midas", conclut fièrement Picasso...

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