Chez ce spécialiste de l'esthétique, le politique n'est jamais loin. Il en offre une démonstration dans ce petit essai dense, ponctué de citations, sur Le temps du paysage. Ce paysage envisagé comme objet de pensée apparaît aux alentours du XVIIIe siècle avec la codification de l'art des jardins et des parcs, la peintures naturaliste et l'esthétique comprise comme une méthode de perception. « Le temps du paysage est celui où l'harmonie des jardins aménagés ou la dysharmonie de la nature sauvage contribue à bouleverser les critères du beau et le sens même du mot art. » C'est à ce moment que l'on se pose la question du sublime : une tempête, un coucher de soleil, une nuit étoilée peuvent être splendides, mais est-ce de l'art ? La réponse est évidemment plus complexe qu'il n'y paraît.
Jacques Rancière chemine dans les traités, les romans et les tableaux pour saisir ce qui s'est passé à cette époque. Pour lui, il n'est pas étonnant que cette perception nouvelle apparaisse au moment où le politique lui aussi bascule, au tournant de la Révolution française. L'auteur du Maître ignorant montre combien le jardin à l'anglaise qui reproduit la nature s'inspire du libéralisme britannique contre le jardin ordonné des Lumières et de la raison.
« Un paysage est le reflet d'un ordre social et politique. Un ordre social et politique peut se décrire comme un paysage. » Jacques Rancière révèle comment on peut interpréter les espaces. On peut y voir l'exploitation ou la domination. À la ligne droite du despotisme s'oppose la ligne courbe de la liberté. La politique imite l'art qui imite les apparences. L'âge des révolutions est aussi celui de l'esthétique, l'apparence n'étant pas le contraire de la réalité, mais son ombre portée. C'est ainsi que l'art des jardins qui copie la nature en l'utilisant devient un art à part entière. Jusqu'à ce qu'on considère que cet art n'en est pas véritablement un.
Le temps du paysage est un post-scriptum à Aisthesis (Galilée, 2011). Jacques Rancière y poursuit sa réflexion sur les représentations sociales et politiques de la nature. « L'esprit ne voit jamais que lui-même. » Voilà pourquoi Kant traverse le livre avec l'idée « qu'il n'y a pas de paysage où l'esprit puisse lire sa destination ». Du paysage poétique au paysage politique il n'y a que la distance d'un regard.
Le temps du paysage : aux origines de la révolution esthétique
la Fabrique
Tirage: NC
Prix: 14 euros ; 128 p.
ISBN: 9782358721912