"Tout Barbès, ses rues, ses gens, ses lumières, les sirènes des voitures de police et des ambulances, les cris, les rixes, la misère, tout me ramène à nos promenades passées. A cette époque tu me disais […] : "Tu vois bien que ce quartier est un ogre, fascinant mais redoutable. Fais attention à toi mon moineau, fais-le pour moi, je n’aimerais pas qu’il t’arrive quelque chose.""
Un jour, plus exactement une nuit, celle du 11 au 12 avril 2012, il est arrivé quelque chose à la cinéaste Jeanne Labrune. Elle a perdu son amour, l’homme avec qui elle vivait et travaillait, le scénariste et comédien Richard Debuisne. Une année durant, elle va rester dans la sidération de cette disparition, sans bien sûr désirer en sortir, presque protégée par elle. Et puis peu à peu, durant une année encore, tout en persistant à se "recouvrir" de son deuil, elle va l’insérer dans le vaste monde, celui de son quartier, de leur quartier, Barbès, nef des fous et "last chance bar", impur, sordide, magnifique, exagéré. Ce seront autant de sorties le nez au vent, le regard dans les étoiles, de terrasses de café, d’attentes sur les quais du métro, autant de promenades et d’errances, autant de rencontres. Ce sera finalement autant de textes, autant de "nouvelles" comme les appelle son auteure, instantanés de vie volés à l’ombre noire du souvenir.
Ce qu’il y a d’infiniment troublant avec ce Visions de Barbès (qui n’est pas une entrée en littérature ; Jeanne Labrune ayant déjà publié chez Grasset, en 2007, L’obscur), c’est de constater combien il baigne dans la fantaisie légère, les petites épiphanies poétiques, qui faisaient déjà tout le prix des derniers films du tandem "Labrune-Debuisne". Il y a là quelque chose qui va bien au-delà de l’hommage, du tombeau, et qui relève plutôt du legs. Quelque chose d’une infinie et terrible douceur. Ce livre-là, ce "qu’avons-nous vu à Barbès, mon amour ?", est pour lui et aussi par lui. Et c’est ainsi qu’il s’adresse à chacun.
Olivier Mony