14 FÉVRIER - ROMAN Suisse

S'il n'existe pas en français de mot pour qualifier des parents "orphelins" d'un enfant, Rose-Marie Pagnard, auteure d'une douzaine de romans et de récits, réunit, dans ce troisième titre publié chez Zoé, un choeur entier pour dire ce deuil sans nom.

Rose-Marie Pagnard- Photo DR/ZOÉ

Ilmar et Sigui Reich ont perdu leur fille unique, Sofia, morte deux hivers plus tôt, tuée par la drogue et par une "maladie très en vogue, nouvelle, radicale" qui ne sera jamais nommée. Chacun d'eux survit replié dans la solitude de son chagrin, affrontant une incompréhension et une culpabilité non partageables. Après le décès de leur fille, ils ont déménagé leur vie au septième et dernier étage d'une tour. Ilmar, chef costumier au Théâtre royal de la ville, a rapatrié son atelier dans deux des six pièces du grand appartement. Aidé par le jeune apprenti tailleur Paulet Pitt, il confectionne des habits de scène et de ville. Gardant pour lui ses souvenirs de Sofia, il dévie sa propre peine en s'inquiétant pour sa femme qu'il voit "se complaire dans les eaux noires". Pour la sortir du gouffre, il décide d'organiser au prochain solstice d'hiver un bal déguisé, et d'y convier les voisins de l'immeuble. Mais Sigui ne veut pas être distraite de sa détresse. Elle préfère enquêter, partir sur les traces de son enfant dans l'espoir de tirer quelques fils de vérités lumineuses de l'écheveau de mensonges qui ont peu à peu creusé la distance entre la jeune toxicomane et ses parents. Elle visite des lieux que Sofia a prétendu fréquenter quand, dès 16 ans, au début des années 1980, elle était "déjà dominée par des pulsions enchanteresses, toutes ennemies de l'enfance, de la vie au grand jour, des réveille-matin". La mère se rend dans des cafés, suit les petits cailloux laissés par sa fille le long de son chemin suicidaire. Parallèlement, nous faisons connaissance avec les habitants de la tour : une femme et son fils qui démonte tout ce qu'il trouve et séjourne régulièrement dans des cliniques psychiatriques ; Gloria Vinyl, l'occupante du 2e étage qui décline avec rudesse l'invitation ; la locataire du 4e d'où on entend parfois tirer des coups de feu ; Mme Zheng, la Chinoise du 5e, mystérieusement spécialisée dans les "Tissus et Apprêts"... Avec l'apprenti Paulet, qui vit dans un autre quartier avec sa mère qui perd la vue, tous forment une communauté chancelante de reclus, de fous et de veilleurs de démons.

L'immeuble en forme de tour-cage, les vêtements que l'on endosse pour affronter les autres et le dehors (Sigui, dans les rues, revêtue d'un costume d'ourse), les forêts où l'on se perd..., le roman emprunte de nombreux motifs aux contes pour enfants, des Habits neufs de l'empereur à Hänsel et Gretel. Les voix s'élèvent dans une juxtaposition singulière de passé simple, d'imparfait et de présent, et c'est dans une irréalité douloureusement réelle qu'une veillée funèbre se métamorphose en fête consolatrice.

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