Leo Spitzer (1887-1960) est l'auteur d'un ouvrage de référence publié en 1970 chez Gallimard, Etudes de style, préfacé par Jean Starobinski. Dans ce recueil d'articles, l'historien et philologue autrichien explique ses recherches et sa méthode d'analyse des textes par une sorte d'imprégnation profonde.
Contraint à l'exil à Istanbul puis aux Etats-Unis après l'arrivée au pouvoir des nazis, ce professeur à l'université de Marbourg poursuivit ses travaux sur le sens des mots. Son enquête s'articule autour d'un ensemble de mots se rapportant au concept antique et chrétien d'harmonie du monde. "Je me propose dans cette étude de reconstruire les strates de l'arrière-plan occidental d'un mot allemand : le concept d'harmonie du monde qui sous-tend le mot Stimmung."
En partant de Platon, Leo Spitzer laboure ce champ sémantique en profondeur. Il nous invite à un voyage passionnant aux sources même de l'Europe. Il plonge ainsi dans la littérature du Vieux Continent, interrogeant les textes grecs, latins, allemands, anglais, français ou italiens. Il puise dans les recoins les plus intimes pour trouver la musique d'une idée, comme Pythagore recherchait l'accord parfait. Il voulait d'ailleurs illustrer son propos par un millier de textes dont nous n'avons ici qu'un aperçu. Car il ne s'agit en effet que d'un brouillon !
Cet ouvrage publié trois ans après la mort de Spitzer aux Etats-Unis ne constitue qu'une introduction à un travail plus vaste encore. Il s'agit moins d'un livre que d'un atelier de pensée, où s'éparpillent des notes derrière lesquelles on sent émerger une personnalité foisonnante.
Ce classique inclassable est une invitation à entrer dans un univers parallèle. Celui où le désordre apparent conduit à l'harmonie. Celui où nous voyons une pensée se développer, une pensée dont le lecteur est invité à trouver lui-même l'organisation. Le tout fait penser à une tapisserie dont les fils auraient été dispersés. Spitzer les retrouve et les insère. Apparaît alors une image, qui prend forme au long de ces cinq chapitres complétés par des notes roboratives.
De ce monument intellectuel qui s'érige en se cherchant, le grand critique littéraire italien Carlo Ossola, titulaire de la chaire de littératures modernes de l'Europe néolatine au Collège de France, a pu dire qu'il s'agissait de "l'un des livres les plus lumineux qu'ait pu nous offrir la culture allemande."