Occupant l’emploi demeuré vacant du loup solitaire des lettres françaises, Philippe Djian, malgré (ou à cause de) sa discrétion, est devenu un personnage. Un personnage dont les traits les plus repérables nuisent parfois à une juste appréhension du travail de romancier. Ce contraste - on soupçonne l’auteur de ne pas chercher à le dissiper, de s’en amuser peut-être - apparaît fortement en ces jours où paraissent simultanément son nouveau roman et une monumentale et autorisée biographie, Philippe Djian, en marges de David Desvérité au Castor astral. Si le travail du biographe, extrêmement rigoureux, empathique autant que pertinent, ne peut qu’être loué, c’est bien sûr entre les pages de Chéri-Chéri, le roman, ce "mensonge qui dit la vérité", que se dissimule Djian. De quoi est-il question cette fois-ci ? D’un écrivain, histoire de brouiller un peu plus les pistes. Dans une France provinciale sans provincialisme, Denis écrit des livres qui lui valent un succès d’estime : c’est-à-dire de temps en temps une émission de télé, une remise de décoration, des repas au restaurant avec son éditeur. Le reste du temps, travesti en femme, il danse pour une boîte de strip-tease et la satisfaction de sa mâle clientèle… Denis est marié avec Hannah qu’il aime peut-être, qu’il désire par intermittence. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes marginaux et impécunieux, si n’étaient venus s’installer dans l’appartement voisin de celui du couple, les redoutables beaux-parents de Denis et notamment son beau-père, dont il n’est pas vraiment le genre de beauté…
Avec ce faux roman noir, vraie farce tragique, Djian s’amuse, nous égare et nous épate. On peut y lire les échos des paumés grandioses de Palahniuk ou de Goodis, mais aussi un sens certain des ambiances et de la fatalité qui, eux, doivent à Simenon. Et c’est ainsi, démiurge ironique, que Philippe Djian est grand. Olivier Mony