29 août > Roman Portugal

Valter Hugo Mãe- Photo NELSON DAIRES

L’apocalypse des travailleurs, le premier roman traduit en français de Valter Hugo Mãe, né en 1971 en Angola, également poète et musicien, est entièrement écrit en minuscules et sans guillemets, et c’est cette forme qui d’abord saisit puis embarque : ces phrases enchaînées comme une mélopée en sourdine, bloc compact de récits agrégés, qui ne distinguent aucune voix, aucune prise de parole singulière. Lettres minuscules pour vies minuscules puisque les héros du livre, deux employées portugaises quadragénaires et des émigrés d’Europe de l’Est, ces « travailleurs », sont des invisibles, des déclassés, petit peuple du dessous, d’ailleurs. Des abusés.

A Bragança, au nord du Portugal, Maria da Graça est femme de ménage quatre jours par semaine chez « monsieur Ferreira », riche et avare retraité. « Le vieux maudit » lui fait écouter Mozart, regarder Cris et chuchotements de Bergman, lui parle de Goya, de Rilke, et… la harcèle de ses désirs sexuels. Bonne à tout faire, littéralement, elle est également au service d’Augusto, son mari depuis dix-sept ans, marin périodiquement désœuvré qu’elle empoisonne sans culpabilité en versant chaque jour une petite dose de Javel dans sa soupe. « Avec ce que je gagne […] je ne peux me payer que la mort, la vie est trop chère pour moi », répond-elle à Quitéria, sa voisine et amie, prostituée intermittente, qui voudrait la détourner de son souhait de rejoindre au plus tôt le paradis. Ensemble, les deux femmes font des extras pour des entreprises de pompes funèbres, pleureuses professionnelles veillant les morts pour 50 euros, « un salaire de médecin ». Mais monsieur Ferreira se jette par la fenêtre de son appartement, et sa femme de ménage le pleure, prenant conscience de l’étrange amour qu’elle portait à ce « maudit patron ». Quitéria, de son côté, s’attache à Andriy, un Ukrainien de 23 ans qui a quitté ses parents pour venir trouver du travail dans ce pays où il est devenu si rare, où les chantiers, comme le constate avec amertume le mari de Maria da Graça, sont « de plus en plus envahis d’hommes de l’Est, désespérés et prêts à porter les camions sur leur dos pour survivre », « des résistants qui vont pourrir la vie de tout le monde ». Etrange retournement de l’histoire dans un Portugal qui a vu partir tant de travailleurs chassés par la misère, et refrain connu de l’oppression en cascade, que Valter Hugo Mãe réfléchit à sa manière forte, sombre et critique, dans une charge vigoureuse qui n’épargne personne. Pour les plus maudits des damnés de la terre - les femmes pauvres et sans éducation et les étrangers -, le bonheur s’il n’est peut-être pas de ce monde ne semble pas plus promis dans l’au-delà. Et les portes du paradis devant lesquelles Maria da Graça se présente dans ses rêves sont barrées par un saint Pierre insensible et intransigeant. Même le ciel se fait attendre.

V. R.

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