C'est l'un des grands livres d'histoire de la rentrée. En tout cas l'un des plus attendus. Depuis maintenant trente ans, Ian Kershaw étudie Hitler et son régime. Ce n'est pas une obsession. Juste un besoin de réunir un maximum d'éléments pour comprendre quelque chose qu'on peine à comprendre justement, et qu'on détourne souvent par la notion de mal. Mais c'est quoi le mal ? Ce professeur à l'université de Sheffield a tenté de cerner le problème dans les deux volumes de sa biographie Hitler qui font référence (Flammarion, 1999 et 2000).
Mais le régime ? Pourquoi, alors que tout montrait qu'il allait sombrer, s'est-il obstiné derrière son chef ? Pourquoi les nazis ont-ils suivi des ordres de plus en plus fous. Pourquoi vouloir à tout prix terminer le programme d'extermination des Juifs et de terreur de la population ? Pourquoi tout un peuple s'est-il résigné à l'autodestruction ? Ce sont les questions abordées dans La fin.
L'enjeu est immense et le résultat à la hauteur de l'attente. Parce que Kershaw ne défend pas une thèse a priori. Il collecte, assemble et raconte. Au travers des documents et des témoignages, il montre la société en train de s'effondrer. La méthode Kershaw a fait ses preuves. Une narration impeccable, des faits vérifiés, des analyses pointues et l'on est happé par l'inéluctable drame.
De l'attentat manqué contre Hitler le 20 juillet 1944 à la capitulation du 8 mai 1945, l'historien britannique décrit la fin meurtrière du régime. Logiquement, l'Allemagne aurait dû toucher le fond après l'échec de Stauffenberg. Elle survit néanmoins, encore plus délirante, guidée par Hitler, Goebbels, Himmler et Bormann. Le parti nazi s'infiltre au coeur de la vie communautaire du pays. Il installe la peur tandis que Speer efface au plus vite les destructions des Alliés. Il faut y croire, coûte que coûte. La haine de l'Armée rouge sert de ciment. On en rajoute sur les atrocités soviétiques. La propagande s'en charge. Les généraux allemands sont obsédés par l'"anéantissement biologique" du peuple qui vit sous les bombes, dans les ruines.
Dans ce crépuscule nazi, le destin des Juifs est encore pire. La machine à détruire d'Auschwitz tourne à plein régime. Après le désastre militaire de la Wehrmacht, Joukov enfonce les lignes. La violence change de camp. Exécutions sommaires et viols se succèdent dans la population civile. Mais Hitler, aidé par Dönitz le fanatique, maintient l'idée qu'il faut se battre jusqu'à la dernière goutte de sang. Dans son bunker, le Führer ne songe pas à la population. L'extermination des Juifs avant tout !
"Mieux vaut une fin dans l'horreur que l'horreur sans fin", disaient certains Allemands. Ian Kershaw retrace cette agonie en rapportant comment elle fut vécue par les dirigeants comme par les individus. Il le fait avec le sens de la nuance et de la prudence à l'égard du matériau de l'Histoire qu'il sait délicat. Bref, magistralement !