Dans l'ethnie de sa mère, les Fangs, peuple de sculpteurs animistes du Gabon et du Cameroun-Sud, il est d'usage que les anciens désignent, à sa naissance, le fils d'une famille en tant qu'"aîné". "L'aîné n'est pas l'enfant qui a vu le jour le premier, explique Gaston-Paul Effa, mais celui qui a été choisi pour convoquer les éléments. Elu puis initié, il change de nom, devient le père de tout le clan, de la terre entière, et même de son propre père. Et c'est un sac sacré, au contenu jamais dévoilé, qui symbolise cette élection et cette transmission." C'est l'histoire de ce sac totémique, refusé par le héros-narrateur qui fuit son héritage, puis retrouvé lors de son retour au pays natal, qui constitue la trame de Je la voulais lointaine, le nouveau roman, largement autobiographique, de l'écrivain "français d'origine camerounaise", comme on dit.

"Obama, c'est moi", pourrait dire Gaston-Paul Effa. Dans une Afrique où le droit officiel et le droit coutumier, l'animisme et les monothéismes se superposent et se mêlent, c'est en effet le "nom tribal" qu'il a reçu. «Un nom banal, dit-il, un peu comme Martin ici. Qui signifie "aigle" ou "épervier", le seul oiseau capable de tutoyer le soleil sans se brûler les yeux." Tout un symbole, sur un continent où tout est symbole et fait sens. Quant à son nom de famille, Effa, il viendrait de l'hébreu, désignant une unité de poids. Y aurait-il aussi des Falashas, ces Juifs noirs venus d'Ethiopie, parmi ses ancêtres ? Gaston-Paul Effa, qui a appris l'hébreu classique et vécu en Israël, n'est pas loin de le penser. "Chez nous comme chez les Juifs, >poursuit-il, il est d'usage que le fils aîné soit "offert". Il doit partir, tout en subvenant aux besoins des siens. C'est ce que j'appelle mon "sacerdoce laïque". Et ce n'est pas un vain mot : son père, d'origine beti (ou bantoue), a engendré 33 enfants, 16 avec chacune de ses deux épouses légitimes, plus un hors mariage !

Elevé par des religieuses

L'aîné fera ainsi venir en France ses parents et une partie de sa fratrie. Et ouvrira plus tard un restaurant, à Sarrebourg où il vit, enseigne la philosophie et cuisine, A la table des tropiques, afin de financer un collège privé laïque et une bibliothèque publique à Yaoundé.

«Mon père, qui est mort en 2011, s'appelait Gaston, >explique l'écrivain. Lorsqu'il a fallu me choisir un prénom chrétien, les anciens m'ont appelé Gaston-Paul, afin de couper toute malédiction." Paul, nom de baptême du Juif Saül : tout le ramène à cette tradition hébraïque qu'Effa a célébrée dans Le livre de l'Alliance, paru au Bibliophane en 2003 et signé avec André Chouraqui, traducteur de la Bible.

A 14 ans, en 1979, Gaston-Paul Effa, élevé par des religieuses alsaciennes à Douala, suit ces dernières à Strasbourg. Quoique déjà "fou de littérature" - ses deux livres fétiches sont Don Quichotte et Madame Bovary -, il était destiné à devenir prêtre. Mais durant ses études de philosophie, son maître Jean-Luc Nancy lit ses premiers essais et le conseille : "Vous devriez écrire." Tout en enseignant la philo chez les Jésuites, il se lance dans un roman, Tout ce bleu. Il envoie le manuscrit chez Grasset, à Yves Berger - un fou d'Afrique -, et à Philippe Demanet chez Gallimard. Les deux l'acceptent, mais Grasset dégaine le premier. Paru en 1996, le livre remporte un joli succès, et continue de se vendre. "Ce doit être mon "best-seller", s'amuse l'auteur, aux environs de 10 000 exemplaires." Il donne un autre roman à Grasset, en 1998. , "l'histoire d'une mère qui voit partir son enfant".

« Un vieux sage »

>Mais Berger s'éloigne, et Gallimard se rappelle à lui. Effa rejoint alors "Continents noirs", la collection de Jean-Noël Schifano - tout en espérant, comme pas mal d'autres, migrer un jour vers la "Blanche". Le cri que tu pousses ne réveillera personne paraît en 2000. Et la "Blanche" reste muette. Il quitte donc Gallimard, et va ensuite, au gré de rencontres, publier au Rocher, puis chez Anne Carrière, juste quand ces deux maisons connaissent des turbulences...

Aujourd'hui, comme Obama qui, à la fin de Je la voulais lointaine, retrouve son sac, Gaston-Paul Effa entame chez Actes Sud une nouvelle phase de son oeuvre sous des auspices favorables. Se considérant désormais comme "un vieux sage", il essaie d'initier sa fille à la tradition. «Parce que la transmission, en Afrique comme partout, est féminine», dit-il. Et il écrit un roman sur son père. Ce Gaston qui, en vrai, a perdu le sac de la tribu. Mais a prédit à son fils qu'il le retrouverait un jour. Sac à malices métamorphosé en sac à mots, la boucle est bouclée.

Je la voulais lointaine, Gaston-Paul Effa, Actes Sud, 144 p., 15,80 euros, ISBN : 978-2-330-00276-3, tirage : 3 200 ex., mise en vente le 1er février.

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