8 janvier > Essai France

Ecrire sur les rapports père-fils n’est jamais anodin. Surtout quand on est un fils et qu’on met en dédicace : "Pour Jean Ferney, le mien". Donc Frédéric Ferney part à la poursuite d’un homme que son père a méprisé et cet homme n’est autre que Winston Churchill. Sur lui, tout a été dit, donc rien de vraiment concluant. Reste le non-dit. L’ancien animateur du "Bateau livre" a repris le dossier à sa façon. Subjective, impressionniste, élégante et rapide. Il laisse aux historiens les sommes quelquefois assommantes. A lui le portrait craché de ce "petit garçon, à jamais orphelin du regard de son père, et qui se maudit de n’être pas celui qu’on attendait".

Dans les histoires de désamour, il y a encore de l’amour. Ce fils d’un père absent devint à l’image de son géniteur un conservateur rebelle, fantaisiste et imprévisible. "La mort de son père, prématurément fauché à 46 ans par une maladie honteuse, le hante, infléchit ses rêves du côté de l’obscur." Winston a 21 ans. Il ne pourra plus montrer à lord Randolph ce qu’il vaut vraiment. La guerre et surtout Hitler lui offriront un rôle à sa démesure, celui de héros. "Nous sommes tous des vers de terre mais moi, je suis un ver luisant."

Frédéric Ferney aborde son sujet par petites touches, comme autant d’épisodes dans cette vie réglée par les excès. On suit Winston en Inde, en Afrique du Sud, dans les tranchées, se jetant dans les combats comme dans une eau vivifiante, enchanté par sa témérité et son sens de l’humour. "Quand vous devez tuer quelqu’un, cela ne coûte rien d’être poli." Libre comme un ivrogne, il s’abandonne à l’action, génial dans ce qui l’intéresse, pitoyable dans ce qui l’ennuie. Frédéric Ferney suit Churchill tambour battant. Il devance même quelquefois ses sorties de route. Normal quand on boit comme un trou et qu’on vit à cent à l’heure. Winston a été jeune très tôt. Il l’est resté, avec sa mélancolie diluée dans le champagne, ne croyant qu’en la politique, moins pour changer le monde que pour éviter qu’il ne s’effondre.

Ni avocat ni procureur, Frédéric Ferney ne propose pas une biographie de plus. Son essai bref et enlevé est une tentative d’exploration du Churchill secret. Pour cela, il prend l’histoire par le petit bout et il tire jusqu’à ce qu’il en tombe quelque chose comme cette curieuse confession : "Je dois tout à ma mère, rien à mon père." Et s’il avait été porté par cette absence d’amour, par ce père qui aboyait à la moindre question, par cet homme brillant et cassant, rongé par la syphilis ? Mais comment ressembler à celui qu’on aurait voulu être ? C’est tout le sujet de ce livre. Laurent Lemire

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