On comprend les réactions passionnelles suscitées par Er ist wieder da, lors de sa parution en Allemagne en 2012. Ainsi que son succès phénoménal et planétaire : vendu à 1,5 million d’exemplaires outre-Rhin, traduit dans 35 pays, en cours d’adaptation au cinéma. Ce livre s’intéresse à l’un des tabous les plus tabous de notre époque : Adolf Hitler. Imaginant que celui-ci se réveille, le 30 août 2011, dans un parc berlinois tout proche de son ancien bunker, où il est censé s’être suicidé, sans doute avec son Eva, le 30 avril 1945. Au secours, donc, Hitler revient ! Inchangé physiquement, en pleine forme et égal à lui-même : mégalomane, fou furieux, paranoïaque, mais aussi redoutablement intelligent. Manipulateur et réactif, il se rend vite compte de ce qui lui est arrivé, de la situation, et en tire les conséquences : "J’étais seul pour sauver le peuple. Seul pour sauver la terre, seul pour sauver l’humanité." Pour ce faire et à la faveur de rencontres avec quelques bonnes âmes qui le prennent soit pour un dingue, soit pour le meilleur des imitateurs de tous les temps, il va utiliser une arme redoutable, pire que les canons, les tanks et les V2, une arme de décérébration massive : la télévision.
Des producteurs sans scrupule lui proposent d’abord une virgule dans l’émission comique d’Ali Wizgür - un Turc : Hitler a remarqué qu’il y avait beaucoup de Turcs à Berlin, bien trop à ses yeux. Alors que tout le monde croit qu’il joue la comédie, il prononce en fait un discours politique enflammé, comme aux "bon vieux temps" du nazisme et de Nuremberg. Et ça marche. L’audimat explose. Il devient une star sur YouTube. Même Bild, le grand quotidien populaire qui mène contre lui, dès le début, une campagne virulente, doit se rendre. Il obtient sa propre émission - enregistrée de la Tanière du loup, en Pologne, là où il avait échappé à un attentat célèbre. Tout un symbole.
Hitler scandalise l’Allemagne, ou la fascine à nouveau, parce qu’il dénonce la mondialisation, la perte de repères, la crise, le pire du monde moderne. La classe politique, surtout. Dans un véritable et désopilant jeu de massacre, l’ancien chancelier Helmut Schmidt, le socialiste Sigmar Gabriel, actuel ministre de l’économie, et surtout Angela Merkel en prennent pour leur grade : "A la tête du pays se trouvait une femme pataude, aussi charismatique qu’un saule pleureur." Nazi, illuminé, populiste, démagogue, bien sûr, et assumant tous ses crimes (camps de concentration et Shoah compris), mais aussi lucide et terriblement habile : il va jusqu’à séduire (en tout bien tout honneur) Fräulein Krömeier, sa jeune secrétaire à la télé, pourtant rockeuse et d’origine juive, ridiculiser le NPD, le parti néonazi, qu’il traite de "bande de mauviettes", et se démarquer de l’Oktoberfest de Munich, beuverie pourtant si germanique. Il est vrai qu’il ne boit pas, ne fume pas, ne mange pas de viande. Pour oser ce roman à haut risque, satire vitriolée de l’Allemagne et du monde contemporain, sans complaisance aucune, il fallait être allemand et au-dessus de tout soupçon : Timur Vermes est un "Untermensch", fils d’un juif hongrois réfugié en Allemagne en 1956. Il fallait aussi de l’humour, et un sacré talent. C’est le cas. Il est de retour, jusque dans sa fin pour le moins inattendue, est une vraie réussite. Quant à l’adaptation au cinéma, il va falloir trouver un cinéaste de génie. Et un acteur aussi "bon" que Hitler lui-même.
Jean-Claude Perrier