A l’ère de l’affirmation de soi et du développement personnel, voilà un essai qui tombe comme un cheveu sur la soupe de la claironnante autonomie. Cheveu en forme de poil à gratter qui risque d’en irriter plus d’un(e) : célibataire endurci, pasionaria du féminisme, champion LGBT… Claude Habib fait l’éloge du couple. Une conjugalité "classique", composée de deux individus de sexe opposé, c’est le style du livre qui veut ça, un ton de confession qui visite le thème de l’intimité à partir du vécu propre de son auteure - une femme hétérosexuelle en couple. Et d’avouer d’emblée être "spontanément conjugaliste". Cette spécialiste de Rousseau n’entend pourtant pas faire de catéchisme. Son Goût de la vie commune est une réponse empirique et pleine d’humour à De l’intime (Grasset, 2013) de François Jullien - le philosophe proposait de fonder une nouvelle morale à partir de cette "ressource". "Devenir intime, rappelle Habib, n’est pas une décision." Quant aux nietzschéens qui roulent des mécaniques dans les cimes, ils en prendront pour leur grade : "Le couple surclasse le philosophe solitaire. Ce n’est plus l’homme qui est l’auteur de la connaissance la plus haute, mais c’est le duo de l’homme et de la femme."
Ainsi l’auteure de Galanterie française (Gallimard, 2006) fait-elle partager, à travers moult anecdotes (telle amie est volage et toujours insatisfaite) et références littéraires (Rousseau, Benjamin Constant, La Fontaine), son sentiment sur cette vie à deux : "L’intimité croît à l’abri des habitudes, elle en tire parti comme un poisson des anfractuosités de la roche."
Mais le couple n’est-il pas le succédané pantouflard de la passion ? Vous vouliez le repos, vous aurez l’ennui. La douceur du prévisible, la paix que procure l’assurance d’un regard bienveillant ne préviennent pas contre la déception, Claude Habib le concède : "J’aime que les dépits se dépassent, que les séparés se retrouvent et que personne ne meure à la fin. Donc je suis déçue. Les gens n’arrêtent pas de mourir ; cela ne les retient pas une seconde de se fâcher à mort auparavant." Pire : "Le couple n’est pas le remède à l’ennui parce qu’il ne faut pas rechercher de remède à l’ennui." Mais là n’est pas la question. D’abord, l’ennui, constitutif de notre humanité puisque nous sommes à jamais seuls, sait être créatif, et c’est justement en raison de cette solitude ontologique que nous avons besoin de liens : "Ne se soucier que de soi est un rétrécissement, et se rétrécir est toujours pénible." Fol pari pascalien de la fidélité que ce Goût de la vie commune, si les athées du couple n’adhèrent pas à cette foi dans l’attachement, ils seront au moins charmés par ses louanges élégamment chantées.
Sean J. Rose