Essai/France 12 mars Emmanuel de Waresquiel

« Arrigo Beyle Milanese Scrisse Amò Visse », on connaît l'épitaphe italienne qu'il avait lui-même composée pour sa pierre tombale : « Henri Beyle, Milanais. Il écrivit, il aima, il vécut. » Redondance. Ces trois verbes chez Stendhal n'en faisaient qu'un. Un unique verbe, qui serait « être-stendhal », qu'Emmanuel de Waresquiel conjugue joliment avec J'ai tant vu le soleil, un essai dédié à celui qui mieux que quiconque incarne en littérature l'esprit français. Disons, un certain esprit français. Vif, élégant, contradictoire. Il n'est pas question en vérité de définir quoi que ce soit, d'extraire de l'œuvre stendhalienne une quelconque substantifique moelle de l'art d'être français. Waresquiel n'entend pas rejouer le match Stendhal-Hugo comme l'a fait dans Du génie français Régis Debray, qui décerna les lauriers à l'auteur des Misérables. Pour le spécialiste de la période où la France bascule de l'Ancien Régime vers la construction d'une nouvelle identité - Révolution, Napoléon, Restauration -, il s'agit plutôt d'un portrait - la vie d'un homme mal dans un siècle « si moral, si hypocrite, si ennuyeux », grand admirateur de Bonaparte et contempteur de ses contemporains (« Canaille ! Canaille ! Canaille ! »), passionné d'Italie, de Rossini, de Shakespeare, de peinture, amoureux de l'amour, chassant l'existentiel ennui par les vies fictives de héros de papier...

De son Grenoble natal à ses postes dans l'administration impériale, dans les bureaux ou sur le champ de bataille, de Paris à Milan, de l'essor littéraire à ses dernières années, son ultime détachement à Cittavecchia, et sa fatale crise d'apoplexie, on suit Stendhal à travers les cahots de sa vie, ses œuvres, ses dépits de carrière, ses quelques bonheurs d'amant, ses déboires sentimentaux nombreux, ses femmes : Métilde, Giulia, sa mère adorée morte lorsqu'il a sept ans...

Rédigé en été, à la campagne, « par pur plaisir »,« entre deux chapitres d'un prochain livre », cet essai, à rebours des patients travaux de l'historien à qui l'on doit notamment des biographies de Fouché, Talleyrand ou Marie-Antoinette, est succinct. Alerte, piquant, lumineux, le texte est à l'image de son sujet : « J'étais animé à ce moment-là de cet "état de grâce" particulier, de cette disposition passagère à la légèreté et au bonheur sans laquelle on ne peut aimer Henri Beyle. » Très personnel aussi (Waresquiel laisse entrevoir ses propres souvenirs de jeunesse), c'est un autoportrait chinois, la confession d'un historien qui, l'espace de cent pages, se rêve romancier : « Il n'y a pas un écrivain qui me donne plus envie d'écrire. »

Emmanuel de Waresquiel
J'ai tant vu le soleil 
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 19 euros ; 128 p.
ISBN: 9782072887505

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