Né Cheng Chi-Hsien en 1929 dans une famille de lettrés chinois de Nanchang, celui qui est devenu Français, écrivain puis académicien, est arrivé à Paris en 1948 avec son père, diplomate à l’Unesco qui fuyait la révolution maoïste, puis a choisi définitivement de s’installer en France l’année suivante. Mais ce n’est qu’au bout d’une longue traversée de la solitude et du dénuement qu’il a commencé à écrire, dans notre langue devenue sienne et qu’il illustre superbement. Et la construction de sa nouvelle identité française, avec sa naturalisation en 1971, tient du parcours initiatique. Avec, comme point d’orgue, le choix de son prénom, François, en hommage au saint, découvert chez lui, à Assise, pour la première fois en 1961, et plus jamais quitté depuis.
C’est ce parcours qu’a choisi de retracer aujourd’hui François Cheng, avec émotion et d’une façon unique. Car jamais, même s’il a vécu à Assise une sorte de révélation, il n’oublie ses racines chinoises. Ainsi, lorsqu’il arrive sur le site, en Ombrie, choisi par il Poverello pour s’y faire ermite, Cheng l’envisage par rapport au feng shui taoïste, célébration de l’harmonie, du silence, du dénuement, du minéral et du végétal. Ou bien, cheminant dans les pas de François, son lointain homonyme se souvient d’un quatrain du poète Meng Hao-ran : "Sous les pins, j’interroge le jeune disciple. / Celui-ci me répond : "Le maître est parti / Chercher des simples. Voici que les nuages / Se sont épaissis ; je ne sais plus où…""
Le futur écrivain pérégrine aux trois stations d’Assise, l’église Saint-Damien, où François eut sa révélation, la grotte des Carceri où il se retirait, et la Portioncule, modeste chapelle où il est mort en 1226, d’épuisement et de macérations. Des lieux où il reviendra souvent. De cette fréquentation avec le saint sont nés une familiarité respectueuse et ce livre bref et dense, tentative de le restituer dans son authenticité, loin des clichés de joyeux drille ou de doux rêveur qui lui collent aux sandales. Plutôt ce Grand Vivant qui célébrait la vie dans toutes ses manifestations et ses êtres, auteur d’un Cantique des créatures, premier grand poème en langue italienne, qui figure ici à la fin, en français. Ecrivant sur François, François Cheng écrit sur lui-même, avec pudeur, se remémorant l’exilé qu’il a été et qu’Assise a "sauvé". J.-C. P.