On dit le livre sub-claquant. La presse écrite au bord de rendre l’âme. Mais le discours mortifère à la mode, en cet automne 2010, vise une troisième cible : le cinéma. A peu près en même temps que le New York Times décrétait que désormais «  c’est à la télé que ça se passe  » («  Y a-t-il un film parmi les sorties de cet automne qui suscitera le genre de frénésie que provoquent régulièrement les séries télévisées ?  »), le Times de Londres allait beaucoup plus loin, et posait une question digne de Scotland Yard : «  Qui a tué le septième art ?  » En fait d’enquête (rapportée par Courrier International ), le Times donnait en avant-première un long extrait du nouveau livre de Will Self, Walking to Hollywood , qui vient de paraître au Royaume-Uni (éditions Bloomsbury). Le propos du livre peut se résumer en quelques lignes : «  Le cinéma est mort. Il n’est plus le mode narratif dominant. Son hégémonie de près d’un siècle sur l’imagination de la majeure partie de la population mondiale a pris fin.  » Pour l’anecdote, on apprend que c’est au printemps 2007, dans un restaurant de Toulouse, attablé avec Jonathan Coe, et alors qu’ils étaient tous deux venus participer à «  une bête curieuse : un festival français de littérature  » [le Marathon des Mots] que Will Self proféra ce qui n’était alors qu’une intuition, mais qu’il décida d’approfondir pour en tirer, donc, cet ouvrage. Surprise : en se rendant à Hollywood, au cœur même de la machine à cinéma, Will Self ne rencontra que des gens déjà ralliés à son hypothèse. A les en croire, le cinéma aurait été définitivement détrôné par les séries télé, les jeux vidéo et Internet, et il aurait lui-même contribué à se faire hara-kiri en multipliant les films-spectacles à effets spéciaux, qui n’auraient eu d’autre conséquence que de «  tout pulvériser à coups de rayons laser  ». «  J’espère un peu que le cinéma finira comme le théâtre  », dira à Will Self son agente chargée de vendre sur place ses livres aux studios : «  Un mode d’expression secondaire, certes, mais vénéré, qui donne des œuvres originales… [quoique à présent] je ne sache plus très bien quoi penser  ». Début octobre, la conférence de presse organisée à Paris, à l’hôtel Bristol, pour le lancement de The social network , le film consacré à la naissance de Facebook, est venue confirmer que le discours ambiant était à l’enterrement du cinéma : d’après Philippe Azoury, qui le rapportait dans Libération , c’est à peine si les journalistes s’intéressèrent au réalisateur (David Fincher) et à l’un des acteurs présents, la pourtant mégastar Justin Timberlake. Toutes les questions n’étaient que pour Aaron Sorkin, le scénariste du film, venu du monde de la télé (il est notamment le créateur et producteur de la série A la Maison Blanche ). «  Il suffisait de voir la gueule de Fincher essayant d’en placer une […] pour comprendre que c’est le cinéma tout entier qui s’est possiblement fait tondre la laine sur le dos  », racontait Philippe Azoury. Mais voilà : 1. The social network est un succès dans les salles obscures. 2. The social network est encensé par toute la critique. «  Ce film dont nul ne rêvait s’impose comme une tragédie grecque au temps du pixel roi  », n’hésite pas à s’enflammer Télérama , qui pourtant y va aussi de son couplet sur la mort supposée du cinéma : «  Finalement, dans la bataille (déjà perdue ?) du cinéma contre l’Internet, le plus vieux marque cette fois un point.  […] Fincher a fait le choix, éclatant, d’un grand cinéma de personnages, de récits, de dialogues. Un cinéma romanesque, où s’enchevêtrent les blessures narcissiques, les rivalités, les trahisons…  » La clé du succès, elle est là. Et livrée par David Fincher lui-même, quand il réussit enfin, au Bristol, «  à en placer une  » : «Ironiquement, la télévision est devenue cet endroit où l’on peut prendre le temps de raconter une histoire. La "caractérisation" n’est plus du côté du cinéma, qui a basculé vers des logiques purement pavloviennes, ne répondant qu’à des suites d’explosions. Nous avons quoi aujourd’hui en termes de pré-carré ? L’horreur, le kung-fu ? Super… Mais je dois, moi, lutter contre cette idée qu’un scénario intelligent où les gens s’expriment bien, jusqu’à larguer le spectateur, est désormais tout à fait dévolu à la télévision, aux séries. Si j’exclus ça du champ cinématographique, je signe mon propre arrêt de mort.» Ce qui vaut pour le cinéma, vaut pour la littérature. Au fait : parmi toutes les personnes rencontrées par Will Self à Hollywood, une seule a tiqué sur la possible mort du cinéma : Bret Easton Ellis.

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