Édito par Fabrice Piault, rédacteur en chef

Photo PHOTO O. DION

Dans son bureau de Fayard, qu’il ne s’est jamais vraiment résolu à quitter, et qu’il est d’ailleurs parvenu à conserver même après avoir atteint l’âge de 70 ans, ce qui l’avait contraint, suivant les règles en vigueur chez Hachette Livre, à céder son poste de P-DG, Claude Durand était comme un gros matou. Un Raminagrobis qui pouvait faire le dos rond ou hérisser le poil, se lécher les babines à l’idée d’un beau coup, décocher des sourires (très) charmeurs comme des coups de griffes. Claude Durand avait le don de faire sentir à toutes les souris qui franchissaient sa porte qu’il pouvait tout : leur offrir un beau morceau de fromage comme les enserrer dans ses pattes, et même les laisser simplement filer sans autre forme de procès. Vif, rapide dans la décision comme dans l’exécution, et en même temps patient, obstiné dans la réalisation de ses projets, il a imprimé profondément sa marque sur l’édition des quarante dernières années.

Qu’il les ait laissés admiratifs ou amers, voire hostiles, Claude Durand a fasciné ses pairs, et notamment ceux qui l’ont côtoyé et qui ont créé leur propre maison, comme Odile Jacob, Oliver Cohen, Laurent Beccaria et Henri Trubert, ou occupent des positions majeures dans l’édition, comme Olivier Bétourné, Olivier Nora et Sophie de Closets, par sa puissance de travail, sa clairvoyance, son agilité d’esprit, sa capacité à tirer de multiples ficelles. Il savait jouer de la bonne et de la mauvaise foi, associer intuitions éditoriales et réseaux politiques ou économiques pour bâtir une maison qui s’impose dans l’histoire culturelle du pays et dont "Apostrophes" a été, dans les années 1980, une décisive chambre d’écho. Il était capable de défricher des champs éditoriaux (l’Europe de l’Est, l’histoire, la musique) et d’accompagner des auteurs (Soljenitsyne, Kadaré) sur le très long terme. Il pouvait tout autant surprendre par un de ses fameux "coups", d’autant plus percutants qu’ils étaient décochés avec toute l’épaisseur intellectuelle que dégageait l’ensemble de son catalogue. Un joueur. Un grand éditeur, donc.

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