A une époque fortement sécularisée qui se pique d'être rationnelle, certaines notions tels que « Dieu », « âme », « grâce » ne revêtent plus qu'un caractère métaphorique. Dans l'Europe du XVIIe siècle, il en était évidemment autrement, la foi chrétienne imprègne toute la société, et anime voire embrase les querelles philosophiques et les conflits politiques. Entre catholiques et protestants, au premier chef. Mais au sein même de l'Eglise catholique : jésuites et jansénistes ; Bossuet, champion du trône et de l'autel mais aussi d'une charité active (les œuvres), contre Fénelon, héraut du mystique « pur amour » (union permanente avec Dieu et indifférence au monde et à soi).
L'évêque de Meaux a su barrer la route au mysticisme en France. Dans la chrétienté, le courant mystique n'est point négligeable, il traverse les frontières comme les âges : Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, saints emblématiques du Siècle d'or espagnol, le Rhénan Maître Eckhart au XIIIe siècle ou le Flamand Ruysbroek au siècle suivant... et Angelus Silesius « le messager de Silésie » (1624-1677), ainsi que ce poète et mystique allemand se surnommait lui-même, auquel le spécialiste de l'histoire religieuse du Grand Siècle Jacques Le Brun consacre un passionnant ouvrage, Dieu, un pur rien : Angelus Silesius, poésie, métaphysique et mystique.
Né luthérien, Johannes Scheffler, le futur Angelus Silesius et auteur du Pèlerin chérubinique (1657, édition augmentée en 1675), somme de pensées en vers, découvre les mystiques rhéno-flamands du Moyen Age et se convertit au catholicisme. Il devient franciscain. Mais cela n'« entrav[e] nullement le succès de sa poésie dans les milieux protestants piétistes ». Si ses distiques sur Dieu, « un pur rien », « rien et tout », « partout et nulle part », inspirent Rilke et les poètes d'expression allemande, ils intriguent tout autant les philosophes germaniques : de Leibniz à Heidegger en passant par Hegel. Le père de la monadologie décèle chez le Silésien « un athéisme spéculatif caché », Schopenhauer « un panthéisme ». Les Français ne sont pas en reste : Lacan s'intéresse particulièrement à l'appareillage récurrent des trois termes : Gottheit, Wesen, Wort (« Déité », « essence », « mot » ou « Verbe »). La théologie négative, à savoir qui tient Dieu pour un être ineffable, défini par ce qu'Il n'est pas plutôt que par ce qu'Il est, n'a certes pas été inventée par Silesius, mais l'auteur du Pèlerin chérubinique a un sens consommé de l'image et de la formule paradoxale : « Dieu ne vit pas sans moi. »
Dieu, un pur rien : Angelus Silesius, poésie, métaphysique et mystique
Seuil
Tirage: 1 800 EX.
Prix: 21 euros ; 240 p.
ISBN: 9782021139471