8 janvier > Roman France

"Juristen, böse Christen", le proverbe médiéval allemand traitant les juristes de mauvais chrétiens pourrait se traduire ainsi : "Homme de loi, homme sans foi." Emmanuel Pierrat, avocat réputé, ne contredit pas l’adage, il fait des choses pas très catholiques : outre ses activités juridiques, il écrit des romans. Après avoir conjugué sa plume à celle de son frère Jérôme, le temps d’un roman sur le trafic de cornes de rhinocéros, Qui a tué Mathusalem ? (Denoël, 2012), le voici derechef sur la route de la fiction. Emmanuel Pierrat revient seul avec Le procès du dragon, une histoire très personnelle qui relie dans les mêmes pages ses centres d’intérêt : l’avocature, la franc-maçonnerie, les cultures extra-occidentales et, bien sûr, les voyages.

Né en 1968 en banlieue parisienne, le spécialiste du droit de la propriété intellectuelle, qui tient un blog sur le site de ce journal, a été mordu par l’esprit du voyage lors de ses deux années de coopération à Calcutta - une expérience qui lui inspira l’un de ses tout premiers romans, La course au tigre (Le Dilettante, 2003), et lui inoculera à jamais le goût de l’ailleurs. Ici, c’est le lecteur qu’il entraîne dans ses pérégrinations vers des latitudes exotiques : Jogjakarta, Bali, Denpasar… et aussi dans un temps passé : l’entre-deux-guerres. Maître Emmanuel Tapiro, du célèbre cabinet parisien Tapiro & associés, en voulant ranger son bureau, tombe sur un vieux dossier conservé par feu son aïeul et fondateur du cabinet, Vincent. Une coupure de presse de De Telegraaf, journal néerlandophone, pose le contexte : 1920, sur l’île de Komodo, dans les Indes orientales néerlandaises, actuelle Indonésie, un cadavre d’enfant hollandais déchiqueté est repêché, les parents ont quant à eux mystérieusement disparu. Crime crapuleux ? Terrorisme - activité des indépendantistes indonésiens ? Ou exemple fatal de l’appétit vorace du Varanus komodoensis ? Près de 80 kilos, 3 mètres de long, ce monstrueux reptile indigène est dénommé "dragon de Komodo". Le narrateur débrouille l’écheveau d’une carrière d’avocat franc-maçon traversée par des idéaux d’humanité : à l’époque coloniale, il avait plaidé en Mauritanie la cause d’un Noir accusé de meurtre. En Insulinde, l’occulte se mêle à la réflexion sur la justice : procédure de jugement contre les animaux, sorcellerie… Wayan Puangkrasin, le procureur de Denpasar et intime de Vincent Tapiro, le policier Gema Perkasa, la belle prêtresse animiste Akira… Pierrat brosse une galerie de portraits chamarrée et signe une aventure digne d’Hergé, riche en pratiques tribales. L’avocat mauvais chrétien peut-être, mais bon écrivain. S. J. R.

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