"Le principal frein est l'insuffisance de l'offre. Les éditeurs ne veulent pas se lancer parce que le marché n'existe pas, mais tant qu'il n'y aura pas une offre conséquente, le marché aura du mal à décoller." SÉBASTIEN BAGO, - Photo OLIVIER DION

Se hâter lentement : c'est ainsi qu'on peut résumer l'attitude de nombre d'éditeurs de sciences et techniques concernant la mise en place d'une offre de livres électroniques. Ils justifient leur prudence par le manque de maturité du marché et la difficulté à trouver des modèles économiques viables. Vuibert commercialise quelques titres sur la plateforme Cyberlibris et mentionne que la question fait actuellement l'objet d'une réflexion. Techniquement prêtes (tous leurs ouvrages récents ont une version XML), les éditions du Moniteur n'envisagent toujours pas de commercialiser une offre de livres numériques. "Nos enquêtes sur le livre numérique n'ont jamais révélé une forte attente dans ce domaine de la part de nos acheteurs potentiels, souligne Thierry Kremer, directeur éditorial. Les liseuses ne sont pas adaptés à la lecture des schémas techniques et des tableaux de nos ouvrages. Selon moi, il n'y a pas encore de marché. » Technip a numérisé depuis cinq ans tout son fonds, consultable sur Google Search mais pour l'instant non disponible à la vente. "Google constitue une formidable vitrine à l'international pour nos collections, souligne Paul-François Trioux, directeur général de Technip. Je suis plus réservé concernant la vente d'ebooks, dont je ne suis pas sûr qu'ils soient adaptés à nos métiers. Concernant les livres professionnels, les éditeurs manquent encore de visibilité. »

Tous les éditeurs qui disposent déjà d'un catalogue significatif témoignent pourtant d'une croissance, lente mais indéniable. Présent sur le marché de l'ebook depuis plusieurs années en tant qu'éditeur, Lavoisier constate une curiosité plus vive des lecteurs. "Les clients industriels montrent de l'intérêt pour ce support et demandent des démonstrations, ce qui n'était pas le cas il y a encore deux ans », constate Patrick Alexis, directeur commercial. Le groupe s'organise également pour la vente avec la mise en place pour la fin de l'année d'une plateforme de vente dédiée au numérique pour sa librairie. Elle proposera une offre de livres électroniques en français et en anglais dans les secteurs des sciences et techniques. Chez Dunod, qui propose l'ensemble de son catalogue au format PDF ainsi qu'une sélection de titres au format ePub, on indique que le chiffre d'affaires du livre numérique augmente sensiblement même si son poids reste marginal dans le CA global de la maison. "Nos remontées du terrain sont trop fragmentaires pour distinguer une tendance de fond concernant le modèle économique ou les attentes des lecteurs, indique Eric Pommat, directeur du développement chez Dunod. Il existe cependant une différence entre l'offre pour le monde universitaire, bien organisée, avec différents acteurs comme le consortium Couperin ou la plateforme Cairn, et le marché professionnel en direction duquel il n'existe pas encore d'offre structurée. Il est important de rester en veille et d'être attentif aux évolutions du marché. »

30 % MOINS CHER

Quae, qui fait partie des éditeurs volontaristes en matière d'offre numérique, propose 600 de ses 800 titres disponibles en format PDF. Depuis 2010, toutes les nouveautés paraissent simultanément en version papier et électronique. "Au départ, nous avions différé la commercialisation du livre électronique par rapport à la date de sortie du livre papier, indique Jean Arbeille, directeur des éditions. Mais nous nous sommes aperçus qu'il n'y avait pas de cannibalisation d'un support envers l'autre. Au contraire, les titres qui se vendent le mieux sont les mêmes dans les deux formats. » Les fichiers, vendus 30 % de moins que leur version imprimée, sont disponibles sur différentes plateformes et sur le site de l'éditeur. Les ventes représentent 3 % du chiffre d'affaires global de l'éditeur. "Le marché s'organise peu à peu, estime Jean Arbeille. Nos ventes d'ebooks commencent à devenir significatives. Elles pourraient atteindre 4 à 5 % d'ici à la fin de l'année et 10 % à l'horizon 2015. » Quae prépare également une cinquantaine de titres au format ePub destinés à la lecture sur les supports nomades.

Les Presses polytechniques universitaires romandes ont, de leur côté, lancé trois plateformes l'été dernier : une plateforme Izibook, une application avec une centaine de titres pour la boutique Apple et Média info, qui contient une vingtaine de documents consultables en streaming gratuitement. Certains secteurs spécialisés sont plus favorables au développement du livre numérique. Chez Arcature, par exemple, les versions numériques du Dicobat, en consultation en ligne sur abonnement ou en téléchargement après achat du logiciel, représentent désormais 15 % du chiffre d'affaires global. "Cette offre est en train de trouver sa place, en particulier auprès des professionnels qui l'utilisent en mobilité », observe Aymeric de Vigan, gérant d'Arcature. Chez Eyrolles, la vente de livres numériques représente 1 à 2 % du chiffre d'affaires et progresse doucement. L'éditeur propose 1 500 titres en PDF auxquels s'ajoutent désormais 500 titres au format ePub, vendus à moins 25 % du prix de livre papier. "Les résultats ne sont pas encore à la hauteur de ce que l'on espérait, reconnaît Sébastien Bago, chef de projet numérique chez Eyrolles. Pour moi, le principal frein est l'insuffisance de l'offre. Les éditeurs ne veulent pas se lancer parce que le marché n'existe pas, mais tant qu'il n'y aura pas une offre conséquente, le marché aura du mal à décoller. Et il faut rendre l'achat des ebooks aussi facile que pour les livres. Ce n'est pas encore le cas aujourd'hui. »

Chez Springer, qui fait figure d'exception sur le marché français en annonçant un chiffre d'affaires lié à la vente d'ebooks équivalent à 25 % du chiffre d'affaires total de l'éditeur en France, le constat est similaire. "La France est en retard par rapport à d'autres pays européens, estime Nick Barber, responsable des ventes. Certains éditeurs français sont trop frileux. Nous, nous observons un marché en plein essor. Les institutions s'intéressent de plus en plus aux ebooks. Certaines ont décidé de migrer complètement vers la documentation électronique. C'est plus efficace en termes d'accessibilité et en termes de coût. » L'intégralité du fonds (44 000 titres) est disponible en version électronique et Springer commence à développer son offre au format ePub dans lequel la majorité des titres devrait être disponible d'ici à la fin de l'année. L'éditeur n'hésite pas non plus sur les moyens pour commercialiser son offre : trois personnes sont chargées de la vente d'ebooks sur le marché universitaire.

28.06 2016

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