7 mai > Essais France

Pas de doute, c’est un travail pionnier ! Il y est question de lecture dans le double sens du terme. Celle que l’on fait d’un livre et celle que l’on propose sur une époque, en l’occurrence le IIIe Reich.

Enseignant-chercheur à la Freie Universität de Berlin, Vincent Platini a soutenu sa thèse sur la figure du truand dans les littératures et les cinémas de l’entre-deux-guerres. Son exploration de la littérature populaire et du roman policier dans l’Allemagne nazie s’inscrit dans cette logique.

Adorno constatait que la grande culture avait disparu sous le IIIe Reich. Mais qu’en était-il de la sous-culture populaire méprisée par les nazis ? Vincent Platini est allé y voir de plus près. Et ce qu’il en tire est éloquent.

Si le cinéma n’est pas oublié dans son étude, c’est surtout le roman policier, le Krimi - abréviation de Kriminalroman - qui l’intéresse. C’est dans ces bas-fonds, dans la vision plus ou moins fantasmée des criminels et des policiers, que se révèle le combat idéologique. L’universitaire français en donne une illustration dans la dizaine de textes rassemblés dans son anthologie inédite.

Il nous dit que ces romans de quatre sous valaient plus que cela, ne serait-ce que parce qu’ils soulignaient les ratés d’un mécanisme coercitif. Ces œuvres mineures ne cherchaient pas à renverser le pouvoir, mais à distraire en faisant entendre une musique différente, et le plus souvent sans reproduire les caricatures haineuses préconisées par la "Chambre des écrivains du Reich".

"Le marché du livre n’est pas inféodé à l’idéologie nazie, il accueille des ouvrages humoristiques, étrangers, futuristes ou critiques - bref il divertit et détourne de la ligne officielle nazie." Mais ce détournement doit rester discret, comme le message lorsqu’il y en a. C’est toute l’ambiguïté d’un territoire à la fois soumis et décrié.

En 1947, Siegfried Kracauer avait montré dans De Caligari à Hitler, une histoire psychologique du film allemand (L’Age d’homme, 2009) comment le cinéma expressionniste avait annoncé la catastrophe nazie. Vincent Platini nous explique aujourd’hui comment l’Allemagne a tenté de préserver quelques espaces de liberté dans la frange d’une production contrôlée - pas si bien que ça en vérité - par la censure ou imposée par la propagande.

"Le Krimi agit comme un corps étranger au sein de l’Allemagne et, avec la guerre, devient rapidement synonyme de propagande ennemie." La littérature et le cinéma populaire agissent comme des contrepoisons à la barbarie en venant troubler le discours officiel du régime. Derrière les aboiements nazis continuaient d’exister des moments de lecture, d’évasion, voire de résistance. Une subversion fragile certes, mais bien réelle, que Vincent Platini a vaillamment sortie des décombres.

Laurent Lemire


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